Amen, et tout le reste
« On peut concevoir ainsi la modernité comme l’aventure initiale de l’Occident européen, puis comme une immense farce qui se répète à l’échelle de la planète, sous toutes ses latitudes où s’exportent les valeurs occidentales, religieuses, techniques, économiques et politiques. Cette carnavalisation passe par les stades, eux-mêmes historiques, de l’évangélisation, de la colonisation, de la décolonisation et de la mondialisation. Ce qu’on voit moins, c’est que cette hégémonie, cette emprise d’un ordre mondial dont les modèles (…) semblent irrésistibles, s’accompagne d’une réversion extraordinaire par où cette puissance est lentement minée, dévorée, cannibalisée par ceux mêmes qu’elle carnavalise. » Ainsi Jean Baudrillard introduisait-il son Carnaval et cannibale. Tout est dit. Et si l’on ne parcourra pas ici l’actualité de ces dernières semaines afin de citer les événements qui donnent raison à notre regretté philosophe (pas mal cité ces temps-ci, normal, il devançait tout le monde de vingt ans), c’est pour vous laisser maître de votre analyse. Les symboles ont de beaux jours devant eux. Choisir entre une morale ou une autre, notre cœur ne balance pas. Car si l’une vient récemment, en s’opposant au mariage homosexuel, de faire une belle démonstration de ses effectifs et de sa dangerosité, les autres, derrière des désaccords de façade, dissimulent bien souvent des finalités similaires. Finalement, à bien y regarder, l’héritage judéo-chrétien est partout, et constitue souvent le refuge de l’archaïsme profond qui gangrène nos sociétés. Le même archaïsme qui, en faisant tourner le monde à son image, semble lui injecter chaque jour un peu plus une bonne dose d’autodestruction. « L’apocalypse est là, à doses homéopathiques, en chacun de nous », constate Baudrillard. Pas étonnant que le principal collectif anti-mariage gay ait choisit « Pour l’humanité durable » comme enseigne. Car c’est un fait, en 2012 encore, les premiers à afficher la vie sur leurs slogans laissent toujours une odeur de mort après leur passage.
Jordan Saïsset