Parmi tous les arguments fallacieux avancés par la « majorité » présidentielle pour justifier sa réforme des retraites, il en est un qui occupe une place de choix dans la rhétorique gouvernementale, jusqu’à en devenir un totem : la « valeur travail ». Lors de ses vœux du 31 décembre dernier, le président de la République l’a assénée à maintes reprises, présentant le travail comme la panacée, le remède à tous les maux du siècle. Il y a peu, Gérald Darmanin fustigeait « le gauchisme paresse et bobo », auquel il oppose « les belles valeurs du travail, de l’effort, et du mérite. »
Cette notion de « valeur travail » regorge de sous-entendus — et de malentendus. À commencer par l’idée que les détracteurs de la réforme ne seraient que des feignasses, réclamant ce « droit à la paresse » que Paul Lafargue théorisait voilà plus d’un siècle dans son essai éponyme.
Cette « valeur travail » semble elle aussi dater d’un autre temps. Ils ont d’ailleurs beau s’en réclamer haut et fort, ceux qui nous gouvernent n’y croient même pas : la logique néolibérale qui sous-tend l’action d’Emmanuel Macron et de sa cour place l’innovation privée et sa valorisation boursière (cf. les fameuses « licornes », têtes de proue de la « start-up nation ») — et, par conséquent, le capital — bien au-dessus du travail. Quant à nos compatriotes, selon une enquête de l’IFOP, ils seraient désormais une majorité à percevoir le travail comme une « contrainte » plutôt que comme une source d’épanouissement. Peut-être à la faveur des premières vagues de Covid et des confinements, l’absence de sens ou d’utilité de nombre d’activités salariées a éclaté au grand jour. En témoigne le phénomène de « quiet quitting », ou « démission silencieuse », auquel adhéreraient plus d’un tiers des Français (de toutes les catégories sociales), qui refusent de dépasser le cadre stricto sensu de leur contrat de travail.
Voilà sans doute pourquoi les Français, dans leur grande majorité, rejettent la réforme des retraites. Tandis que les plus riches continuent à capitaliser en toute impunité, les travailleurs sont appelés à être les seuls contributeurs d’une réforme dont le COR (Conseil d’orientation des retraites) lui-même a affirmé qu’elle relevait plus de l’idéologie que de la nécessité économique. Une réforme dont l’injustice n’est pas un « sentiment », contrairement à ce qu’assènent en permanence ses défenseurs, mais une réalité.
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