Faisons Front ! © anto

Mauvaise langue

Si le 9 juin restera gravé dans les mémoires comme le jour où le RN est officiellement devenu le « premier parti de France » — un fait entériné avec beaucoup d’empressement par le président de la République —, cela fait en réalité bien longtemps que l’extrême droite a conquis les esprits. Elle a gagné ce que l’on appelle communément « la bataille des idées », et avant cela, la bataille des mots. Bien aidée par « l’ennemi » qu’elle s’est choisi — et qui l’a choisie en retour, comme en témoigne cet ubuesque débat anti-démocratique Attal/Bardella en pleine campagne électorale —, elle a peaufiné sa stratégie de « guerre culturelle » (1).

Lentement, son vocabulaire a infusé notre quotidien sans que nous y prenions garde. Nos gouvernants comme leurs chiens de garde des médias mainstream se sont appropriés la rhétorique extrême-droitière, et l’on peut désormais entendre régulièrement des expressions aussi absurdes — et abjectes — que « islamo-gauchisme » ou « éco-terrorisme » de la bouche même de celles et ceux qui poussaient des cris d’orfraie ce 9 juin en voyant l’hexagone se peindre en bleu Marine (ou en marron caca, c’est selon).

Ce glissement sémantique vers la droite (extrême) ne date pas d’hier : qui se rappelle que les « forces de l’ordre » étaient, encore il y a peu, des « gardiens de la paix » ? Que les « cotisations sociales » sont devenues des « charges » ? Que les licenciements de masse se sont transformés en « plans sociaux » ?

Dans une société où l’on classe la gauche dans les « extrêmes » (au mépris de la décision du Conseil d’État), la « bien-pensance » et le « wokisme » font aujourd’hui figure de repoussoirs. Comme si les « mal pensants » et les réacs étaient du bon côté de l’Histoire…

Les mots sont des armes paradoxalement silencieuses. Tellement pratiques pour stigmatiser ceux qui ne pensent pas comme soi sans avoir besoin d’argumenter, dans ce prêt-à-penser qui sied si bien à l’époque… Si commodes pour banaliser une pensée et légitimer une vision du monde.

Gageons que la revendication par tous les partis de la gauche française de la noble formule « Front populaire » enclenchera un mouvement inverse…

 

CC

 

Notes
  1. Théorisée dans les années 1960 par Dominique Venner, la « guerre culturelle » consiste à infuser dans la société sa vision du monde, en n’hésitant pas à utiliser les techniques de manipulation par l’émotion, la récupération de concepts, le détournement de sens, voire les fausses nouvelles.[]