Edito n° 168

Edito n° 168

Marseille est une ville étrange. Le cul entre deux chaises. Partagée entre son ouverture naturelle vers l’extérieur et un extraordinaire repli sur soi

Courage, restons !

Marseille est une ville étrange. Le cul entre deux chaises. Partagée entre son ouverture naturelle vers l’extérieur et un extraordinaire repli sur soi — très paranoïaque et un peu xénophobe sur les bords. Déchirée entre un réel désir de progrès (lié à son envie d’en découdre avec la capitale autant qu’aux potentielles mannes financières dégagées par un tourisme plus flamboyant) et une inertie prompte à faire fuir les plus valeureux d’entre nous.
La levée de boucliers entraînée par l’ouverture, sur le boulevard de la Corderie, d’un concept-store érotique[1] en dit long sur la mentalité réactionnaire qui règne encore dans la vieille cité phocéenne. Si l’on pouvait se douter que quelques malheureux godemichés (pourtant soigneusement dissimulés par leurs écrins rose bonbon) et autres parures de lingerie fine choqueraient la bourgeoise à serre-tête du sixième, on avait mal mesuré l’ampleur de la pudibonderie ambiante. Loin d’être anecdotique, cet exemple est symptomatique d’une ville qui ne sait pas comment ni où se situer, opposant sans cesse ses ambitions de « grande métropole qui vit avec son temps » à une morale héritée d’un autre siècle (ou du journal de Jean-Pierre Pernaut).
Et parce que Marseille n’a peut-être pas encore trouvé sa place, chacun peine encore à y trouver la sienne. Les ubuesques travaux entrepris aux quatre coins de la ville ne sont peut-être pas étrangers à ces sentiments de perte et d’oppression qui finissent par envahir toute personne amenée à y résider. De là à dire que Marseille est invivable, il n’y a qu’un pas, que l’on est tentés de franchir allègrement (surtout quand on se retrouve sur la Canebière !). Comme le dit Emmanuelle Germain, dont les photographies se veulent le témoin d’« un état d’être et d’intranquillité », « les directions de la vie urbaine n’ont pas toujours de sens ; les choix d’organisation de l’espace que l’homme se crée semblent parfois arbitraires et surtout irrespirables. » Ressentirait-elle la même chose ailleurs ? Comment se situer dans une ville qui accorde si peu de place(s) à ses habitants ? Ce n’est pas autre chose que se demande l’association Möbius quand elle se propose d’aborder le douloureux thème des espaces publics (ou plutôt, en l’occurrence, de leur quasi-inexistence) à Marseille[2]. Alors que l’on devrait se réjouir des mutations urbaines (l’architecture en mouvement n’est-elle pas signe de vie ?), on constate amèrement qu’ici, chaque changement se fait au détriment de l’humain. Et l’on se prend à rêver d’une fin de règne de la voiture… L’espoir fait vivre, mais combien de temps ?

Texte : CC
Photo : Emmanuelle Germain

Notes

[1] D’aucuns diraient sex-shop, mais ce serait sans compter sur l’aspect esthétique de cette boutique, qui relève plus de la parfumerie que des bouis-bouis pour priapiques du centre-ville…

[2] Bistrot archi sur le thème « Quelle place pour les places à Marseille ? » ce mercredi dès 19h au Courant d’Air Café (45 rue de la Coutellerie, 2e). Rens. 04 91 90 00 91