Comme l’a si bien écrit Ramon Gomez de la Serna, mon père spirituel, auteur d’un ouvrage extraordinaire…
Du monde au balcon
Comme l’a si bien écrit Ramon Gomez de la Serna, mon père spirituel, auteur d’un ouvrage extraordinaire, Seins[1], catalogue dément et inventaire sublime, les seins, singuliers, fragiles, nourriciers et érotiques, sont la permanence de la femme, mais aussi son attribut le plus offert au regard de l’autre, au fantasme, qu’il soit bien couvert, dans un col roulé, tranquillement dénudé, sur la plage, ou puissamment suggéré, le printemps venu. Ça tombe bien, c’est le printemps depuis quelques jours et vous n’avez pas pu échapper au tout premier bourgeonnement de décolletés. En effet, et quel effet, le printemps aidant, la femme — nos mères, vos sœurs, tes copines, ses amies, les lectrices de ce journal et mon ex — enlève une couche, se déshabille, se dévoile, s’aère pour un déploiement de gorge majestueux, un champ des possibles vertigineux et la plus grande joie du garçon, ce couillon. De votre collègue de bureau à la caissière du supermarché, en passant par l’inconnue croisée dans la rue, c’est un véritable feu d’artifice auquel nous assistons, une véritable fête des se(i)ns à laquelle nous sommes conviés, comme pour la fête de la musique — l’odeur des merguez en moins. Pourtant, malgré cette très soutenable légèreté de l’être, tout n’est pas si simple, comme nous dit Jean-Claude Kaufmann, dans Corps de femmes, regards d’hommes[2] — ouvrage moins sexy mais tout aussi instructif que celui de Ramon —, arguant que le décolleté n’est pas donné à tout le monde. En théorie, si, en pratique, ça se discute. Alors à quels seins se vouer, je vous le demande ? Le décolleté idéal, selon JCK, est celui qui évoque le « Beau sein normal » (BSN), ni trop gros ni trop petit, ferme et haut perché. Le BSN a tous les droits, en société, à condition de regarder droit devant soi. Un tout petit regard torve, qui voudrait dire à son voyeur de voisin « Tu peux regarder, mais pas toucher, trop beau pour toi », est fortement déconseillé, sous peine de passer pour une allumeuse. Si le décolleté BSN a plus ou moins la belle vie, pour les autres, ça se complique. Le « Très gros sein » (TGS) se doit d’être discret, ainsi de l’échancrure qui l’habille. Exposer un 95 C à la face du monde peut s’avérer très dangereux, car si l’homme est libidineux, il est surtout con, depuis la nuit des temps. D’après JCK, le TGS, aussi attractif soit-il, « provoque, accroche le regard et perturbe l’ordonnancement sociétal. » Le décolleté TGS ne devra pas être trop plongeant, sinon les plumes et le goudron. Quant à l’ambiance autour des décolletés « Trop beau sein » et « Sein pas terrible », elle est un peu merdique. JCK, qui a très bien synthétisé l’affaire, pense que les TBS et SPT sont très bien vus… donc mal vus, on ne voit qu’eux, donc ils agacent. Montrer son décolleté TBS lors d’un dîner ou agiter le décolleté SPT sous le nez de son prochain, c’est dire ouvertement « Je suis une bombe, j’y peux rien » ou « Mère nature m’a loupée, j’y peux rien ».
En creux, oops, que nous révèle cette formidable quoi qu’un poil didactique analyse du sociologue ès seins ? Tout simplement qu’au de-là de la taille du bonnet et des lois de l’attraction terrestre, les décolletés, mesdames et mesdemoiselles, parlent pour vous et c’est bien le seul moment où ces messieurs vous écoutent. Ce qui est une avancée monumentale pour l’homme qui, c’est bien connu, ne sait pas faire deux choses en même temps. Alors, un peu de tenue (ou pas). Et puis, continuez à cacher ces seins que nous ne saurions voir, il y a tellement de Tartuffes qui sommeillent en nous, soit de vrais menteurs mais de vrais amoureux des femmes.
Texte : Henri Seard
Photo : Damien Boeuf
Notes
[1] Seins de Ramon Garcia de la Serna (Babel)
[2] Corps de femmes, regards d’hommes de Jean-Claude Kaufmann (Pocket)