Edito n°152

Edito n°152

A l’heure où nous écrivons ses lignes, nous pouvons entendre le ministre de la Culture se targuer de l’adoption, dans une indifférence quasi-générale, de la loi DAVDSI, convaincu — certainement à juste titre — que « ce texte fera jurisprudence à l’étranger ». Que dit au juste l’objet du délit ? Que va-t-il changer …(lire la suite)

Le meilleur des mondes (I)

A l’heure où nous écrivons ses lignes, nous pouvons entendre le ministre de la Culture se targuer de l’adoption, dans une indifférence quasi-générale[1], de la loi DAVDSI[2], convaincu — certainement à juste titre — que « ce texte fera jurisprudence à l’étranger ». Que dit au juste l’objet du délit ? Que va-t-il changer pour les internautes, les artistes et les industries de la culture ? Commençons, une fois n’est pas coutume, par les « bonnes nouvelles ». Largement remanié depuis sa première présentation devant l’Assemblée Nationale à la veille de Noël (!), le texte allège considérablement le régime de sanctions des contrevenants : les fraudeurs ne seront plus passibles, comme aujourd’hui, de trois ans de prison et 300000 euros d’amendes, mais d’une contravention de 38 euros, portée à 150 s’ils mettent les œuvres téléchargées illégalement en partage[3]. Autre avancée par rapport à la première mouture (aberrante !), la notion d’« interopérabilité » est inscrite dans la loi : les MTP[4] « ne peuvent faire obstacle au libre usage de l’œuvre dans la limite des droits prévus par le code de propriété intellectuelle et ceux accordés par les détenteurs de droits ». Autrement dit, un internaute peut lire et copier sur tous les supports de son choix les albums qu’il a achetés et les fichiers qu’il a téléchargés légalement — mais n’est-ce pas la moindre des choses ? Point le plus « critique » de la loi, la licence globale — qui prévoyait un forfait mensuel permettant de télécharger à volonté — a été abandonnée. Et si l’on ne s’en plaint pas vraiment[5], on regrette en revanche qu’une autre proposition de l’opposition — visant à taxer les fournisseurs d’accès à Internet pour qu’ils financent la culture — ait connu le même sort. D’autant que, sur le même principe, on sait tout le bien qu’a apporté l’obligation faite aux chaînes de télévision d’investir dans la production cinématographique. Et sans compter que ce rejet illustre la tendance inique de la majorité à systématiquement culpabiliser et sanctionner les citoyens sans jamais toucher aux grandes entreprises… Ce n’est hélas pas le seul point d’ombre de cette loi qui tourne une page de l’ère numérique. Quid du logiciel libre — gravement menacé par l’amendement qui punit sévèrement (trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende) le fait d’éditer et de mettre « sciemment » à disposition du public un logiciel permettant le « téléchargement illégal d’œuvres ou d’objets protégés » ? Quid de l’accès à la culture pour tous ? Cette loi ne nie-t-elle pas le principe même des bibliothèques publiques ? Et, surtout, quelle place pour la liberté individuelle et le droit à la vie privée ? Le pathétique amendement adopté « pour éviter que la gestion des droits d’auteur ne compromette de facto la sécurité des utilisateurs individuels, des entreprises et des administrations » n’entravera sans doute pas le « flicage » promis par ce texte liberticide, qualifié à juste titre d’« usine à gaz répressive » par la Spedidam (Société de Perception et de Distribution des Droits des Artistes-interprètes Musique et danse). Un texte qui s’inscrit dans la « droite » ligne de ce néo-fascisme rampant auquel nous faisions allusion la semaine dernière dans ces colonnes. Gaffe ! Big Brother is watching you. Pour de bon.

Texte : CC
Photo : Caroline Lioré

Notes

[1] Entêtement du Gouvernement sur le CPE oblige, l’intérêt des médias et de nos concitoyens pour la chose se voit logiquement amoindri. Nos députés auraient-ils profité de la situation pour faire passer une loi controversée ? Ce ne serait pas la première fois : on se souvient de l’une des premières lois adoptées sous la nouvelle majorité en 2002 consistant à augmenter honteusement les salaires des ministres

[2] Loi sur les Droits d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information, adoptée ce mardi par 286 voix pour, 22 abstentions et 193 contre

[3] Ce qui risque d’être souvent le cas, puisque la quasi-totalité du piratage s’effectue via des logiciels de Peer-To-Peer (P2P), basés sur ce principe d’échange…

[4] Marseille Trop Puissant ? Non : Mesures Techniques de Protection !

[5] Certes pavé de bonnes intentions (rémunérer les artistes tout en dépénalisant le téléchargement), le projet est calqué sur le principe « Pollueur-Payeur » — faussement écolo et vraiment libéral…