Amà 2.0, Emeka Ogboh / production Fræme © Jean Christophe Lett

Emeka Ogboh – Stirring the Pot à la Friche La Belle de Mai

Fragments d’une chronologie

 

À la Friche, Fraeme nous invite à l’exposition Stirring the Pot sur plusieurs espaces et plusieurs temps autour de l’œuvre d’Emeka Ogboh, artiste nigérian transdisciplinaire et citoyen du monde.

 

 

Comment évoquer la douceur d’un coucher de soleil sur la place d’un village ? Là où les chants accompagnent une communauté dans le déroulé d’une journée. Comment retranscrire le parcours d’une caisse de fruits entre un port autonome du continent africain et le marché de Noailles ? Emeka Ogboh construit des synopsis dont il ne resterait que l’écorce, le contour, ce qui nous permet de rentrer dans la douceur d’une lumière et de suivre le dessin d’un jeu de mains qui cuisinent, la vapeur d’un bouillon dans le contre-jour.

Deux étages plus bas, des êtres s’allongent dans le moelleux d’une assise en tissu akwété, à l’écoute de chants Igbo (Amà 2.0, 2021). Et puis, celui qui se lève s’approche des enceintes, une à une, et découvre une voix de femme, puis celle d’un homme, passant du général au particulier dans un rapproché du corps et de la voix. Celle qui est très loin nous chuchote à l’oreille dans une langue rassurante et clairvoyante, parce que le timbre et le répertoire nous accompagnent dans un inconnu suave et feutré.

Emeka Ogboh rapproche les communautés et les récits. Il filme la traversée de la mer pour nous apporter des nouvelles au-delà de notre horizon (Migratory Notes, 2021). Il rassemble des odeurs et des goûts d’ici et de là-bas, recréant une convivialité apaisée.

Mais en avançant plus intensément dans le parcours qui nous est proposé, nous voyons poindre aussi la question de l’identité et des migrations. Nous pensons aussi, devant l’éclat de la lumière et les senteurs de la mer, à la violence du monde, aux propos outranciers du politique, à la vulgarité de la télé et aux clichés sur le réfugié.

Parce que ce parcours initiatique n’a rien d’innocent, il installe une ville dans la ville. En concevant une marque de bière éphémère (Uda et Uziza), il développe une économie et s’approprie des espaces, éloignant les frontières de la guerre par les plaisirs partagés.

Enveloppé d’expériences sensorielles, le visiteur s’habille d’une aura et d’une plénitude qui lui ouvrent les yeux sur un monde qui est aussi le sien, parce que nous sommes le monde. Emeka Ogboh s’adresse aux femmes et aux hommes libres, mais aussi à celles et ceux qui sont privés de leurs droits.

Nous regardons chaque jour Marseille dans sa diversité, mais tout va trop vite, tout se dilue dans la dureté du quotidien, des rapports de classes et de l’entre-soi. Le politique dénonce le communautarisme qu’il a lui même créé dans l’absurdité de vastes plans d’urbanisme qui ne profitent qu’à ceux qui vivent ailleurs.

Ce qui point dans le travail d’Emeka Ogboh, c’est l’horizontalité des valeurs et des échanges. L’odeur de la terre, le rapport au voyage et au chuchotement, tout ce qui crée un espace transcendant, une proximité bienveillante.

 

Karim Grandi-Baupain

 

 

Emeka Ogboh – Stirring the Pot : Jusqu’au 24/10 à la Tour-Panorama de la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).

Rens. : www.lafriche.org