État des lieux de l’exploitation cinématographique
L’entretien
Vincent Thabourey (Cinémas du Sud & Tilt)
À l’instar de nombreux secteurs, la panique s’est quelque peu emparée de l’exploitation cinématographique : le public reste frileux à reprendre une fréquentation assidue des salles obscures, et les résultats affichés aux box-office hebdomadaires donnent assurément des sueurs froides à tous les maillons de l’industrie cinématographique. Or, vaille que vaille, de nombreux films — dont pour certains remarquables — maintiennent leur présence à l’affiche, continuant ainsi de participer à une pluralité des propositions. Les baisses vertigineuses annoncées à longueur d’articles — de 50 à 85 % de fréquentation en moins — ne permettent pas d’embrasser une juste évaluation des réelles pertes pour l’exploitation hexagonale. Cinémas du Sud & Tilt étant la structure qui accompagne au quotidien plus d’une quarantaine de salles Art et Essai de la Région au travers de nombreuses actions culturelles et professionnelles, nous avons demandé à son directeur, Vincent Thabourey, de partager son analyse d’une situation inédite dans l’histoire du cinéma.
De prime abord, comment résistent aujourd’hui les salles régionales du réseau face à cette chute conséquente des entrées ?
Il faut avant tout rappeler que l’Art et Essai résiste bien mieux que les multiplexes. On parle en effet d’une baisse de 50 % pour ces salles, mais cela change d’un cinéma à l’autre, avec de vraies surprises, comme l’Alhambra, par exemple, dont les entrées n’ont pas chuté. On constate surtout, plus que jamais, que ce sont les animations spéciales qui portent cette dynamique.
Justement, est-ce que les cinémas ont de fait modifié leurs pratiques, en développant des pistes innovantes ?
Elles ont surtout renforcé fortement la dimension d’actions culturelles, plus qu’à l’ordinaire. La situation a indéniablement accéléré cette prise de conscience. La simple exploitation des films n’est plus le moteur des salles. On l’a vu pendant le confinement, avec la question des salles virtuelles, qu’il faut manipuler bien sûr avec précaution, mais sans opposer les moyens de diffusion des films. Il peut y avoir une complémentarité, le vrai enjeu restant de faire revenir les gens en salles. Les coups de pouce que nous avons mis en place avec les institutions régionales, départementales, ont également eu une bonne résonnance, comme la journée « un ticket acheté, un ticket offert », les avant-premières, la tournée de cinéastes…
Le risque de fermeture définitive de certaines salles existe-t-il vraiment, du coup ?
Oui, selon la durée de la situation, il y a des risques. Il faut voir ce qu’il se passe aux États-Unis et en Angleterre, où près de cinq cents salles de cinéma ont fermé leurs portes. Par rebond, cela peut nous arriver. Surtout pour les privés : il ne faudrait surtout pas que seules restent les salles aidées par les pouvoirs publics. Ce n’est pas un scoop : les enjeux économiques dans cette activité sont très forts. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’arrêter les oppositions, et d’être aussi dans un mouvement collectif : n’oublions pas que s’il n’y a plus de multiplexes, il n’y aura plus de salles Art et Essai non plus. Il y a une urgence économique, certes, mais aussi une urgence culturelle, et il faut cesser de les opposer. Si la situation perdure, il est certain que des salles privées ne tiendront pas, mais cela s’étendra aussi aux salles soutenues par les pouvoirs publics. De nombreux soutiens financiers ont été mis en place, mais ils ne le seront pas éternellement, et quelques autres vont sans doute suivre. Or, même si cela est évidemment nécessaire, la question principale reste : comment conquérir à nouveau ce public.
Est-ce que l’on voit donc revenir un nouveau public en salle ? On pense aux plus jeunes…
Non, c’est toujours le point épineux. On constate bien, aujourd’hui plus encore, que l’on a raté une marche avec le jeune public. Que les pratiques se sont éloignées, jusqu’aux modes de communication sur lesquels nous sommes, je crois, dépassés. L’industrie économique est allée bien plus vite que la démarche culturelle. Mais il faut continuer ce combat. Je remarque par exemple que pour les dispositifs scolaires, l’envie des enseignants de reprendre ces séances est très forte, et sera un relai dynamique vis-à-vis du jeune public.
Propos recueillis par Emmanuel Vigne