Excroissance d’une tragédie
Dans le cadre de ses Informelles, le Théâtre des Bernardines s’est de nouveau associé avec Romeo Castellucci pour Crescita XI Urbino, une nouvelle création expérimentale d’une vingtaine de minutes visant à prolonger un questionnement sur la tragédie à l’époque contemporaine… (lire la suite)
Dans le cadre de ses Informelles, le Théâtre des Bernardines s’est de nouveau associé avec Romeo Castellucci pour Crescita XI Urbino, une nouvelle création expérimentale d’une vingtaine de minutes visant à prolonger un questionnement sur la tragédie à l’époque contemporaine.
La scène a disparu, le spectateur est à même le sol, déjà pris dans une tourmente dont l’ampleur l’inquiète. L’obscurité déroutante du chaos qui se trouve en face de lui le rend méfiant. Des éléments du décor tanguent, comme sur un paquebot en train de sombrer corps et âme. On se croirait dans l’esprit d’un humain détraqué, d’un de ces pervers qui ont réduit l’espoir à néant. Des grincements de ferraille, des hurlements de métal puis de femme se font entendre. On ne sait pas si c’est vrai ou faux. On ne distingue rien dans ce froid total. Puis c’est le silence. Des policiers viennent déplacer les meubles lourds et austères qu’on découvre nous aussi, en même temps qu’eux. Un corps gît au fond, désassemblé. Une petite fille, semble-t-il. Un des gardiens de la paix s’assoit, inerte, assommé par ce qu’il voit. Est-ce lui l’assassin ? Est-il l’image de l’impuissance ? Il reste prostré quelques minutes, pleurant. L’enfant fantomatique se lève et vient s’asseoir sur ses genoux. Figure maximale du dérèglement. Elle l’excuse et lui dit que tout est terminé, rapidement, avec sa voix angélique. En peu de temps naissent beaucoup de réflexions. Des interrogations sur les origines du mal. Qui est coupable de quoi ? Y a-t-il une explication à cela ? Non. Avec cette absence de réponse, Castellucci ne nous susurre-t-il pas que nous le sommes tous ? Bien que court (et c’est un regret même si c’était l’option choisie), le travail proposé contient en lui une densité peu commune, une maîtrise affirmée du monde décrit et présenté. On sent que tout est contrôlé avec une discipline rare mais nécessaire quand il s’agit, avec ambition, de vouloir créer ce genre d’univers. Crescita XI est le début d’une série de « vignettes théâtrales » qui seront bientôt mises en scène. Autant dire que, si elles sont toutes aussi audacieuses, on en salive déjà.
Texte : LV
Photo : Luca Del Pia
Crescita XI Urbino était présenté du 8 au 10 aux Bernardines