Face au mur de Martin Crimp par Diphtong Cie
Insécurité sociale
Huit ans après sa création, Hubert Colas reprend le triptyque Face au mur de Martin Crimp sur le Plateau de la Friche ? Un portrait grinçant d’une société obsédée par le tout sécuritaire et la peur de l’autre.
La pièce est composée de trois tableaux. Trois tableaux pour trois situations de crise où s’infiltre l’angoisse sourde de la violence quotidienne.
La scénographie est simple : un white cube sans temporalité ni lieu défini. Le sol est encombré de centaines de ballons blancs qui cachent le plancher et mangent les pieds des acteurs. Comme une décoration d’anniversaire passée à l’eau de javel, tremblant comme une jelly anglaise au moindre mouvement des acteurs. Ces derniers en habits de gala, smoking crème, redingote et robe longue, se tiennent debout, rigides et gênés. Place au fait-divers.
Ils sont quatre sur scène, une femme et trois hommes. Ils n’ont pas de nom ni de signe distinctif. Ils sourient, quelques silences puis l’histoire commence. Le timbre de voix, les mots et leurs liaisons finissent de camper à traits flous les quatre narrateurs, qui n’ont pas d’identité définie ni même de statut acquis. Il est impossible de savoir s’ils sont protagonistes ou simples témoins des tragi-comédies qu’ils nous racontent, s’ils sont coupables, si le spectacle est leur aveu. Leurs sourires ou mimiques ironiques sont en contradiction avec ce qu’ils nous révèlent, comme s’ils ne prenaient pas la mesure de leurs mots et de la violence qu’ils exposent.
Leur posture s’apparenterait presque à celle du bouffon, au sens médiéval du terme. Celui qui, sous couvert de dérision, de rire libérateur, dit ce que personne ne veut entendre. Les acteurs révèlent la banalité de la violence à travers des situations où la tension monte à son paroxysme, cachée au cœur d’une scénette triviale. C’est là la force de la mise en scène d’Hubert Colas, qui joue sur le décalage entre l’attitude édulcorée ou complètement hystérique des acteurs et le contenu de la pièce.
Chaque acteur préside un tableau dont il tricote petit à petit l’histoire. Leur ton est forcé, comme s’ils cherchaient les mots logiques, factuels, en inventant l’histoire devant nous. On pourrait presque croire à une improvisation, à un jeu d’enfants qui consiste à finir la phrase de l’autre.
L’inquiétante étrangeté s’infiltre alors dans les discours. Les mots, bien que banals, se révèlent incisifs, et laissent présager le dérapage. Les images décrites vacillent et laissent entrevoir l’arbitraire de la violence, ici aseptisée et blanche comme le plateau. Pour palier l’angoisse du vide, le divertissement et la chaleur de modèles sociaux inlassablement répétés.? Face au mur de cette violence, agir ou laisser faire, telle est la question.
Adèle De Keyzer
Face au mur de Martin Crimp par Diphtong Cie était présenté les 16 et 17 janvier aux Plateaux de la Friche La Belle de Mai
Chronique du spectacle datant de 2006