Fama par la Cie La Zouze
Seuls au monde
Avec Fama, le chorégraphe Christophe Haleb sort la danse du théâtre et de sa vision frontale pour nous emmener dans un parcours déambulatoire où le public découvre à son insu qu’un homme, ça transpire.
La danse rêve depuis toujours de cinéma. En 1979, Lucinda Childs crée Dance, un solo minimaliste où les diagonales de l’interprète se reflètent en simultané sur un tulle tendu au premier plan de la scène : l’idée de réinventer le direct de l’image par la justesse du pas compté dans une esthétique américaine chère au papier millimétré de Sol LeWitt et à la musique de Phil Glass. En 1991, Peter Sellars emmène l’opéra dans une salle de cinéma avec Le Cabinet du docteur Ramirez, dans lequel l’absence de dialogues offre toute la place à la musique de John Adams. Entre ces deux extrêmes, Christophe Haleb nous propose en 2013 Fama, une installation hybride et évolutive où le désir de cinéma s’entremêle au désir de la scène dans une liberté chère à l’esthétique relationnelle. Qu’est-ce à dire ? Qu’il est possible, quand le désir devient trop fort, de jeter ses idées au regard du public dans un désordre savamment orchestré. Commençons par le désir de cinéma : une jeune femme quitte la ville pour se perdre dans des territoires lointains où le corps s’épuise dans la moiteur d’une île. En écho, la scène nous propose l’immensité d’une structure (une grotte ?) sur le concept du carton préplié, propice à toutes les extravagances de formes et comme un formidable symbole de l’errance (le SDF). C’est là que le petit homme se trouve des acolytes pour transfigurer son territoire et réinventer des jeux et des disputes propres à la nature des hommes. Car en partant de rien, le groupe se crée inévitablement une culture où il tente de trouver un sens à son errance. Qu’est-il donc, cet homme ? Un Robinson qui découvre la promiscuité et les contradictions de l’autre ? Un mercenaire qui n’est jamais reparti ? Peut-être les deux à la fois, s’exprimant dans un langage international (l’anglais du Lonely Planet) pour mieux nous montrer que face au vide, nous sommes tous les mêmes. Pour mieux appréhender la culture d’une île où le surf et la transe ne sont jamais loin. Qui n’a pas rêvé de l’outrance et l’excès ? Ou mieux encore, qui n’a pas rêvé des Vanuatus et des îles Marquises pour mieux se laisser abandonner ?
Karim Grandi-Baupain