Fashion Folklore. Costumes populaires et Haute couture au Mucem
Tissu social
La nouvelle exposition du Mucem, Fashion Folklore, jette un regard inédit sur la haute couture en questionnant ses influences régionales et folkloriques. Une exploration de l’interaction fascinante entre les vêtements traditionnels et la création contemporaine.
Alors que le soleil n’en finit plus de chauffer les corps et les esprits, que les navettes pour le Frioul font le plein et que les plages et les rues sont prises d’assaut, une invitation au Mucem apparaît comme une promesse de fraîcheur dans la ville en surchauffe. C’est à l’ombre des moucharabiehs de sa célèbre façade que les touristes se reposent sur des transats après avoir déambulé sous un soleil de plomb. On pénètre avec soulagement dans les salles tempérées de la nouvelle exposition, accueillis par les deux commissaires Marie-Charlotte Calafat et Aurélie Samuel. La première, conservatrice du patrimoine et responsable du département des collections et des ressources documentaires du Mucem, nous explique que le musée peut s’enorgueillir d’une collection textile très riche. L’enjeu de cette nouvelle exposition est de pouvoir en montrer une partie à travers un parcours de visite original, construit comme un dialogue constant entre le costume traditionnel et la haute couture. La scénographie choisie illustre à la perfection l’aller-retour permanent qui existe entre les deux domaines. En effet, depuis Paul Poiret et Jeanne Lanvin, la haute couture a puisé en permanence dans les formes et les imaginaires attachés au costume régional, traditionnel ou folklorique. Dans l’optique de démontrer la porosité entre les deux univers, l’exposition présente près de trois cents pièces issues des fonds du Mucem et de prêts des musées français et étrangers. Les plus grands couturiers et maisons de couture sont ainsi présentés, notamment Yves Saint-Laurent, Jean-Paul Gaultier, Christian Lacroix et Balenciaga.
L’exposition s’ouvre d’ailleurs sur une robe en raphia, conçue par Frank Sorbier et inspirée par les expéditions du Musée d’ethnographie du Trocadéro. Le matériau utilisé dit “non-noble” permet de mettre en valeur les techniques de vannerie traditionnelle. Cette robe d’une grande technicité témoigne de la puissance créatrice du couturier, entre artiste et artisan.
Guidé par une fresque qui court sur toute la longueur de l’exposition, le visiteur déambule au gré des influences régionales, l’œil accroché par les pièces phares des collections. La division géographique de la première section permet de refléter les particularités culturelles des différentes régions présentées. On apprend par exemple comment les Ballets russes présentés à Paris de 1906 à 1914 ont permis à la haute couture de s’emparer des costumes traditionnels. Paul Poiret et Jeanne Lanvin font figure de précurseurs. Les albums de dessins de cette dernière sont d’ailleurs exposés, issus de sa collection personnelle comportant en outre échantillons, broderies et vêtements traditionnels qui lui servaient de référence et d’inspiration. Plus loin, c’est l’Ukraine qui est représentée au travers d’une chemise de femme dite “vyshavanka” devenue emblème de l’unité d’un peuple. Au fil des modèles exposés, les textiles chatoyants succèdent aux broderies arachnéennes des pièces de collections albanaises et espagnoles qui inspirèrent Balenciaga et Christian Dior entre autres. Jean-Paul Gaultier est également à l’honneur, ses créations rendant hommage à la Bretagne en s’inspirant des coiffes traditionnelles et des cabans des marins pêcheurs. La Provence est dignement représentée par Simon Jacquemus et Christian Lacroix.
Le vêtement est également considéré comme un signe social et constitue un véritable langage compris par tous les individus de même groupe. Lors des rites de passage tels que le mariage, les costumes jouent un rôle essentiel. En guise de mise en bouche, on notera les chapeaux de Catherinette, célébrant les célibataires de vingt-cinq ans et plus, en jaune et vert. Les couronnes de fleurs d’oranger des mariées, généralement remisées sous globe après la cérémonie, sont reprises par John Galliano dans une robe incarnat un peu inquiétante. Kenzo imagine une fiancée en redingote patchwork, Saint-Laurent une femme forte en smoking, Paco Rabanne une femme-armure et Givenchy nous présente une guerrière casquée inspirée de l’Antiquité.
Une dernière partie de l’exposition est consacrée aux transmissions et inspirations, et pose la question de l’appropriation culturelle dans l’univers de la mode et du textile. Elle donne à voir des pièces de broderie hongroise et des blouses roumaines en regard avec les créations de Jeanne Lanvin, Kenzo et Yves Saint-Laurent qui a participé à leur redécouverte en les transformant en matériau de haute couture.
En combinant le charme intemporel du folklore avec l’innovation contemporaine, cette exposition nous rappelle que le vêtement est bien plus qu’une simple parure : il raconte l’histoire d’une société, façonne son identité et nous relie les uns aux autres à travers le temps et l’espace.
Isabelle Rainaldi
Fashion Folklore. Costumes populaires et Haute couture : jusqu’au 6/11 au Mucem (1, Esplanade du J4, 2e).
Rens. : www.mucem.org