F/D/Am/M (Festival de Danse et des Arts multiples de Marseille)
Supplément d’Am
Changement d’appellation, d’image et d’espace-temps. Nouvelle chimie, un peu précipitée… Le Festival de Marseille, dirigé depuis seize ans par l’élégante Apolline Quintrand, a dû changer géographiquement son fusil d’épaule, mais pas sa visée.
Pour sauver le festival de l’annulation d’une édition prévue à 95 % au Hangar 15, en raison de protestations et des menaces de perturbations émises par les syndicats des métiers du port, l’équipe d’Apolline Quintrand a remué ciel et… territoire. Puisque l’union fait la force, le « réseau » devient rhizome : les Bernardines et le Merlan, déjà partenaires, mais aussi la Friche la Belle de Mai, Montévidéo, le Ballet National de Marseille, l’Alcazar, le Gymnase et même le Pavillon Noir et la Cité du Livre à Aix-en-Provence ont répondu à l’appel. Les équipements municipaux ne sont heureusement pour cette fois pas en reste : les Musées de Marseille réouvrent temporairement le Palais des Beaux-Arts de Longchamp pour que Christophe Haleb y déploie son salon artistique et prêtent la Chapelle de la Vieille Charité au plasticien Christian Rizzo, tandis que l’Espace Culture construit une salle de bains dans sa vitrine pour la performance du tanguero Rodrigo Pardo. Un autre judicieux tour de passe-passe où l’on transforme le concert d’ouverture d’A Filetta en événement gratuit sur l’esplanade Bargemon tandis que les partenaires mécènes prêtent également main forte à l’Auditorium du Parc Chanot pour accueillir le grand chorégraphe japonais Saburo Teshigawara… Oui, le festival aura bien lieu(x) !
Avec neuf premières et huit créations, le F/D/Am/M redonne ses lettres de noblesse au mot festival. Au-delà de la diffusion, la manifestation est un vivier qui permet aux compagnies de notre région de prendre le temps pour exposer ce qui les anime : la sensibilité baroque et jouissive de Christophe Haleb, l’implication du mouvement dans l’interprétation de la musique pour Nathalie Negro, le temps qui passe et son irréversible élan pour Katharina Christl et Simon Courchel, la parole mise en bouche et la physicalité de l’espace pour Jacques Diennet et Christian Tarting — ou quand le spectateur a la sensation de ne plus faire qu’un avec.
En changeant son nom pour F/D/Am/M, le festival réaffirme la place centrale de la danse. Mais pas que. S’il est vrai que le théâtre « pur » s’absente des plateaux de cet été, les spectacles choisis et présentés dans cette édition font néanmoins la preuve d’une forte théâtralité. En témoigne le goût affiché pour la création flamande, reconnue pour son usage de l’extrême (Wim Vandekeybus, de retour à Marseille pour la cinquième fois, Koen Augustijnen, des Ballets C de la B), mais aussi pour la surprenante scène transatlantique (deux Canadiens : Ginette Laurin, Benoît Lachambre, et les Américains Dean and Britta, qui revisitent l’univers d’Andy Warhol). Physique des lois et/ou vertige de l’amour, déséquilibre de nos vies, aspiration à l’élévation… Caractéristiques de l’élan vital, ces notions se retrouvent disséminées dans la figure revisitée de l’épouvantail fragile et fabuleux de Karine Pontiès, dans l’équilibre maîtrisé du Tangram (1) chorégraphique d’Aurélien Bory, ou encore dans la partition animée du chorégraphe Pierre Droulers.
Le festival prend pour identité visuelle le tableau périodique des éléments de Mendeleiev, rompant ainsi avec des années de déclinaison de l’enfant-roi plongeur… Gageons qu’il saura créer l’alchimie créatrice et faire de cette programmation étoilée — de ces « quinze cœurs » comme aime à le dire la directrice du festival — un atout, en réinvestissant pleinement la ville avant que de regarder de nouveau vers l’horizon des mers lointaines.
Joanna Selvidès
F/D/Am/M : du 17/06 au 11/07 dans divers lieux de la ville et à Aix-en-Provence.
Rens. 04 91 99 02 50 / www.festivaldemarseille.com
Wim Vandekeybus / Ultima Vitez – NieuwZwart
D’abord danseur pour Jan Fabre, Wim Vandekeybus crée sa propre compagnie, Ultima Vez, en 1987. Dans son travail, on retrouve une idée du cinéma de Pialat, à savoir la justesse de l’intervention de l’amateur, du non comédien. En abordant l’idée du handicap — l’aveugle, le danseur dépourvu de technique —, le Belge trouve une énergie brute qui pousse le corps au-delà de sa timidité et l’emmène vers une performance de l’accident. La spontanéité est une richesse fragile, la timidité une qualité cachée. Comment aborder la scène en dehors des protocoles et des schémas du répertoire, comment retrouver des jeux d’enfants sur lesquels on pose des comptes et des jeux de lumières ? Entre ce qui peut se reproduire à l’infini et ce qui n’existe qu’une seule fois, Vandekeybus est une référence pour les nouvelles générations.
_Du 18 au 20/06 au Merlan
Ginette Laurin / O Vertigo – La Chambre Blanche
Ginette Laurin choisit les déséquilibres de la vie et revendique les passions. Trop rarement accueillie en France, la chorégraphe canadienne recrée l’une de ses œuvres majeures, La Chambre Blanche, celle de l’enfermement, de la dislocation des cœurs et de l’évasion alors nécessaire. Dans une danse violente et fluide à la fois, physiquement engagée, dans cette brillante chorégraphie interprétée par des danseurs qui ne le sont pas moins. Le vertige — notion autour de laquelle sa compagnie O Vertigo travaille depuis près de vingt-cinq ans — ne peut que saisir le spectateur, alors pris en étau dans ce décor somptueux qui sert tour à tour d’asile puis de refuge sensuel, happé par le rythme changeant et certainement fasciné par les décadences qui se trament sous ses yeux.
_Les 21 & 22/06 au Ballet National de Marseille
Pierre Droulers – Walk Talk Chalk
WTC. Walk Talk Chalk. World Trade Center. Hommage à ce qui est détruit. Mais bien au-delà de la tragédie, c’est le mouvement inexorable, la marche de notre vie et de nos mondes imaginés qui concentrent l’attention de Pierre Droulers. Le chorégraphe et co-directeur du fameux centre de création Charleroi Danses est à la fois généreux et sobre. Par ses techniques de composition et son goût pour l’abstraction, sa danse se dépouille volontairement de la vanité des artifices théâtraux. Ici, la partition chorégraphique se module en explorations : par la marche (Walk), ce mouvement naturel de l’âme, par la sensibilité de la parole (Talk), dans un désir de poésie convoqué par les textes de John Giorno et la musique de Denis Mariotte, et enfin par la trace (Chalk), celle qui montre ce qui disparaît comme quelque chose qui apparaît.
_Les 30/06 & 1/07 au Merlan
Koen Augustijnen / Les ballets C de la B – Ashes
La présence du Belge est une manière d’inviter les Ballets C de la B sous un autre angle et de regarder d’un peu plus près les protocoles de travail de ce collectif. Le chorégraphe a participé aux premières aventures d’Alain Platel en dansant dans la pièce référence Bonjour Madame la marquise. Comment retranscrire le monde d’aujourd’hui sans retomber dans les travers du beau geste qui nous colle la tête contre le pare-brise de l’académisme ? Koen Augustijnen prend le temps de regarder les incohérences du monde pour faire passer les maux par le corps. Entre une analyse cloîtrée dans un temps infini et une action qui soulage des énergies négatives, la danse choisit la deuxième solution, parce que le spectacle d’une bonne gifle et d’un corps à corps dans l’intimité de la scène est une jouissance intelligible et sans danger.
_Les 1er et 2/07 à l’Opéra de Marseille
Dean & Britta – 13 Most Beautiful… Songs For Andy Warhol’s Screen Tests
Anciens membres de Luna, Dean Wareham et Britta Phillips accompagnent de leur musique envoûtante, à la fois folk et électrique, les images-plans de treize portraits de visiteurs de la Factory au début des années soixante réalisés par le dieu du Pop Art, pour créer un ciné-concert des plus sensibles. Ces Screen Tests sont des films sans paroles, au même format (du 16mm converti en Beta SP), de même durée (quatre minutes), en noir et blanc et exploités en ralenti. Première en Europe, l’expérience est fascinante, bien au-delà de la déférence au grand maître et de toute célébration historique ou culturelle. En ayant recours à la juxtaposition et à la superposition du sonore au visuel, les deux Américains font de ces émotions simples un « je ne sais quoi » qui transcende le quotidien et nous laissent en contempler la beauté.
_Le 6/07 au Théâtre du Gymnase
Saburo Teshigawara / Cie KARAS – Miroku
Il est l’un des plus grands chorégraphes d’Asie. Et à raison. Sa gestuelle coule de source, d’une source — celle de l’esprit — qui, à ce point de perfection, ne peut se tarir. Seul sur scène, dans un écrin de lumières bleues et de vidéos qu’il a lui-même designées, il offre à sa danse ciselée l’éclat d’un joyau, en donnant précisément la primauté à la perception. Ou plutôt en donnant à voir le chemin vers soi… De ses origines japonaises, il met à profit le goût de l’excellence dans un enchaînement exigeant — mais jamais ardu — de mouvements qui paraissent n’en être qu’un seul, faits de la même matrice. Et comme dans un jardin zen, il nous embarque dans une promenade qui nous installe dans la rêverie, dans une nuit pure, devenue presque mystique, entre harmonie et tension d’un corps enfin uni à l’esprit.
_Les 9 & 10/07 au Parc Chanot
KGB/JS
Dense métissage
Le Centre National de la Danse de Pantin propose une exposition à l’Alcazar (et à la Cité du Livre à Aix) en quatre parties allant de 1920 à nos jours, abordant la présence de la minorité afro-américaine dans l’histoire de la danse aux Etats-Unis.
Au-delà de la qualité de l’expression corporelle, photographies en noir et blanc, documents et vidéos questionnent les droits civiques et illustrent un pan revendicatif du Black Power par le biais d’un art allant du charleston au breakdance. Active dans la lutte pour l’égalité raciale et créatrice d’une école de danse à New York, la danseuse et chorégraphe Katherine Dunham, fusionnant genres et cultures, appliquait, lors ses tournées au début des années 30, un refus systématique des lieux de ségrégation. Bill T. Jones, compagnon du photographe Arnie Zane, a quant à lui participé à l’affirmation des homosexuels. Cette exposition présente des dépliants d’une grande qualité et un accompagnement est proposé par la médiatrice Fanny Jouneau. En clôture, le 27 juin à 18h, Planète Jeunes livrera une intervention dansée.
MNQ
Danses noires, blanche Amérique : du 11 au 27/06 à la BMVR Alcazar (58 cours Belsunce, 1er) et du 30/06 au 11/07 à la Cité du Livre (8/10 rue de Allumettes, Aix-en-Provence).
- Jeu chinois, dont s’est inspiré le chorégraphe pour imaginer sa structure scénique[↩]