Edmonde Franchi et Nicole Ferroni © Ventilo | Touhid Loudin

Festi’Femmes à Marseille

Drôles deux dames

 

Leurs deux noms commencent par F comme Femme et même Festi’Femmes, le festival d’humour au féminin dans lequel elles se produiront le 8 mars au Silo. Interview croisée d’Edmonde Franchi et Nicole Ferroni.

 

La première a déjà une belle carrière théâtrale et cinématographique (Gazon maudit…) qu’elle poursuit avec le même enthousiasme. Elle est la marraine du Festi’Femmes depuis ses débuts, il y a vingt ans. Rien d’étonnant : elle a toujours centré son travail sur la place et la parole des femmes. Comment oublier sa poignante pièce Carmenseitas, qui livrait une mémoire, celle des ouvrières de l’usine Seita à Marseille ? Ou encore son merveilleux Cœur à prendre avec Marguerite qui cherche l’amour sur le net ? Elle a assisté aux débuts de la seconde à la MJC d’Aubagne.
La seconde, justement, est la fille qui monte. Elle a fait partie du « plateau découvertes » du festival en 2011, avant de faire ses armes dans l’émission de Laurent Ruquier On ne demande qu’à en rire. En ce moment, elle est partout, au cinéma, à la télé et sur scène.
L’une a réalisé pour Radio France, durant deux ans, des séries policières sur Fréquences noires en France et en Belgique. Et elle a été la chroniqueuse de l’insolant billet d’humeur La semaine de l’enkikineuse, dans feu Marseille l’Hebdo. L’autre nous réveille tous les mercredis matin dans le 7-9 de France Inter avec son billet direct, intelligent et sans détour.
Toutes deux ont quitté leurs métiers « sérieux » (assistante sociale pour la première, prof de SVT pour la seconde) pour se consacrer au rire.
Leur respect est mutuel, leur engagement, commun. Elles ont l’humour décapant mais pas rageur, un franc-parler identique, une grande dose d’humanité et une écriture brillante, tout en finesse.

 

Quelle est l’importance du Festi’Femmes aujourd’ui ?

EF : Il y a vingt ans, je n’y croyais pas. Parce que même en étant comédienne j’avais intégré les stéréotypes de mon époque, de mon éducation. En effet, une fille qui fait des trucs drôles, bah… Le pari paraissait tellement fou ! Et là, on fête les vingt ans du festival…
Lorsque j’ai commencé, il y avait très peu de jeunes humoristes. Sylvie Joly, Zouc, Marianne Sergent étaient des valeurs fortes. Depuis, il y a quand même eu une éclosion de jeunes talents, que ce soit Nicole Ferroni, qui a une jolie écriture d’ailleurs, ou d’autres filles que l’on voit passer dans le « plateau découvertes » du festival. Beaucoup plus essaient de se lancer. Cependant, cela n’est facile pour personne et plus encore quand tu es une fille ; c’est justement en cela que le Festi’Femmes est toujours utile. C’est un endroit qui donne le courage et la visibilité du fait de son existence. Car quoi qu’on dise, la même idée circule toujours : « Il vaut mieux avoir un beau cul qu’une tête bien pleine et un super humour ». Je pense que les hommes craignent l’humour des femmes ; ils peuvent être pris de revers et éprouver une espèce de perte de pouvoir. Ils le prennent rarement bien.

NF : Le Festi’Femmes est à Marseille ce que le nez rouge est au clown… son atout « Rire et glamour ». C’est un lieu qui fait office à la fois de tremplin pour les «  guignolEs débutantEs », ce que j’ai été il y a quatre ans, mais aussi de bercail, de refuge ou d’asile pour celles qui sont en piste depuis longtemps et qui auraient parfois des envies de « retour chez soi ». C’est un festival assez convivial pour se prétendre familial… Bon, d’une famille qui ne serait faite que de femmes. Mais parfois, après avoir couru partout pour rejoindre les hommes dans leur « monde » (professionnel, social, etc.), se retrouver entre femmes ça fait du bien, non ? Ça nous permet de nous moquer d’eux en toute tranquillité.

 

Edmonde, vous avez été et êtes toujours la marraine de cette manifestation

Oui, il y a un chemin commun. Nous nous sommes fait connaître l’un l’autre. Eliane (Zayan), alors directrice du Quai du Rire, a eu l’idée de créer un festival pour les femmes car cela n’existait pas. Elle cherchait des artistes. Je venais d’écrire mon premier solo, Fruit de la passion. Le succès a été au rendez-vous pour toutes les deux. Je suis passée de l’univers de Gérard Gelas ou de Maréchal, de partenaire de Françoise Fabian et des textes de Valère Novarina à un solo dans le registre comique. Il est essentiel d’être soutenu, encouragé. Je n’aurais pas eu l’audace de me jeter à l’eau s’il n’y avait pas eu Marcel (Maréchal) pour me dire « Ecris, je te prête la petite salle » ou des lieux comme le Bompard de Patrice Martino pour m’accueillir. C’était un lieu de culture un peu underground à l’époque, qui a lancé beaucoup d’artistes.
C’est pour cela que je me définis plus comme comédienne qu’humoriste. Je suis à cheval entre deux choses, c’est-à-dire que dans le Festi’Femmes ou les trucs d’humour, je ne suis pas assez drôle, et dans le « Théâââââtre », ce n’est pas assez sérieux. J’essaie de créer un personnage avec un univers, de raconter une histoire, je ne fais pas de sketches. Je tiens beaucoup au mélange du théâtre, de la musique, de l’humour et de la sensibilité.
Et je souhaite faire passer des idées plus que des messages, pas frontalement, plutôt en cherchant à toucher les gens de façon intime. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des filles qui font de l’humour. Elles ont envie de faire rire, pas pleurer. Moi oui !

 

Justement, vous écrivez toutes les deux des spectacles qui mélangent poésie et humour… Est-ce là ce qui vous différencie des autres femmes humoristes ?

EF : C’est exactement ça ! Déjà par l’écriture, puisque Nicole comme moi écrivons nos spectacles, ce qui n’est pas le cas de toutes les filles. Je dirais que ma patte à moi, c’est la bascule, moi qui ai toujours des problèmes de poids… (grand éclat de rire) La bascule entre la poésie et l’humour. Le sensible et le comique. Plus que la juxtaposition des deux, c’est vraiment la déchirure entre ces deux trucs-là qui m’enthousiasme. Lorsque je jouais Cœur à prendre, l’histoire d’une femme d’âge mur qui cherche un homme ­— quelque chose de drôle mais surtout un travail sur la solitude, donc triste en même temps ­—, une dame qui est venue me dire: « C’était bien mais moi j’ai pleuré Madame. » Comme si c’était un peu déplacé. Ce qui m’intéresse est de permettre une traversée des émotions pour le public. Je peux écrire des choses fantaisistes, mais ma visée n’est pas uniquement le rire. Bien sûr que je suis contente lorsque les gens rient, mais l’important est qu’ils se sentent capables de suivre une émotion, d’être perméables aux sentiments et pas seulement à l’humour ; autrement, ça m’ennuie un peu.

NF : Oui, c’est ça. A la fois la poésie et le clown. C’est-à-dire que l’on défend l’humour, mais aussi le corps. Même si avec Edmonde, nous n’avons pas du tout les mêmes corps (grand rire) : je suis une espèce d’asperge filiforme et elle est toute en rondeurs. Mais chacune dans nos corps différents, avec nos charmes et nos défauts, on laisse effectivement une place au texte, au corps et au clown, le clown qu’il contient.

 

Y a-t-il selon vous des caractéristiques de l’humour au féminin ?

EF : Euh, c’est difficile à expliquer. Si la question est « Est ce qu’il y a un humour au féminin ? », je pense que oui. Quand tu es une femme, tu ne parles pas comme si tu étais un homme car tu ne vis pas de la même façon, tu n’es pas issue de la même culture.
Déjà, dans le rapport du regard homme/femme, c’est différent. Sur l’idée de la solitude des femmes aussi, qui est chez moi un thème récurrent. Chez les jeunes humoristes, on le sent moins mais… Il y a quelque chose qui m’interpelle, des filles comme Anne Cangelosi qui font des personnages de grand-mère. Je ne pense pas qu’il y a des humoristes hommes qui font des personnages de grand-père. Il y a quelque chose de particulier dans la relation petite-fille/grand-mère. Parce que comme la relation à la mère est souvent compliquée, l’affectivité se fait beaucoup avec la grand-mère. Ça, c’est particulier. Les hommes vont parler plus de leurs mères, mais de manière moins intime. Enfin, il me semble…

NF : Les humoristes féminines se distinguent principalement de leurs confrères masculins par le fait de porter une foufoune… Mais je crois qu’en dehors de ça, les deux humours se comprennent, se complètent, se ressemblent. Les artistes féminines ont peut-être juste une petite prédisposition à être féministes, mais on leur pardonne bien volontiers.

 

Avez-vous l’impression que l’humour au féminin a évolué ?

EF : Je dirais oui, sans dire dans quelle direction. Car l’humour est forcément très subjectif et très culturel, c’est le produit d’une époque. Les jeunes artistes femmes actuelles, elles, voient le monde différemment, elles portent d’autres regards sur les hommes. Et puis il y a une tendance qui n’est pas celle de mon époque, une espèce d’humour un peu méchant, fait de railleries, de choses comme ça… Et j’ai un peu du mal avec ça dans le sens où je trouve qu’actuellement, autant chez les filles que chez les garçons d’ailleurs, il y a peu d’artistes qui proposent un clown, c’est-à-dire un univers. Coluche, Zouc, c’étaient des clowns, leurs personnages portaient une histoire et on voyait les choses à travers eux.
On parle de Florence Foresti, elle a cette espèce d’humour basé sur la dérision. Elle est forte, elle a un savoir-faire mais elle se moque beaucoup, d’elle mais aussi d’autres personnages, d’autres filles… Je trouve que c’est plus dans la caricature. On peut dire que ça a évolué dans ce sens-là. Chantal Ladesou, qui est d’une autre époque, était plus féroce mais moins dans la raillerie. Bien sûr, Sylvie Joly se moquait aussi si on se rappelle L’après-dîner… mais c’est porté par un personnage. Il s’agit d’un instantané de vie.

NF : Je ne sais si cet humour de dérision est propre à l’humour féminin, mais pas plutôt à l’humour en général. Il est vrai que l’humour a pris une tournure plus incisive… non, ce n’est pas le mot car Desproges était très incisif. En tout cas, je pense que l’arrivée du stand up, chez les hommes ou chez les femmes, a peut-être contribué à « déthéâtraliser » l’humour. C’est-à-dire à le rendre plus abordable, parce que du coup nous avons l’impression que l’humoriste nous parle comme on se parle entre copines. Il a donc gagné en accessibilité, mais après, est-ce que, de fait, il n’a pas perdu en charme ? Peut-être…
En fait, on parle là de la noblesse de l’humour. Pour moi, l’humour souffre un peu d’une image peut-être trop populaire dans le monde du théâtre, pas assez élitiste. Et c’est vrai que les nouvelles formes d’humour, où l’on va parler de personne à personne ou de choses très quotidiennes, creusent parfois le gouffre qu’il peut y avoir entre théâtre et humour.
En même temps, je connais des personnes qui, même dans le stand up, à qui je ne veux pas jeter la pierre d’ailleurs (rire), arrivent à mettre une vraie poésie et à parler sincèrement d’elles-mêmes. Ce que je n’aime pas dans le stand up, c’est cette phrase : « Je ne sais pas si vous avez remarqué… ». C’est une béquille. Certains humoristes arrivent avec leur propre histoire et la défendent sans se justifier aux yeux du public et là, ça donne quand même des très belles choses.

Vous semble-t-il nécessaire de continuer à caler cette manifestation sur la Journée de la Femme ?

EF : Eliane avait envie qu’il y ait une place pour les femmes dans l’humour. Pour ma part, je la trouve bien placée car la problématique de la femme dans la société est vraiment pointée à ce moment-là… Après, cela pourrait être questionné toute l’année, bien sûr. Ça fédère quand même, c’est fort comme idée. Et puis c’est mieux que le 31 mai, la Fête des mères (rire), autrement dit fête de la cocotte-minute et des centrales vapeurs. Au tout début, moi aussi je me disais : « Ah ! Ça fait travaux d’aiguilles de femmes.» Mais on a dépassé ça, c’est un moment maintenant repéré où chacune fait en sorte de se libérer pour se retrouver. Il y a des filles que l’on croise d’année en année, ce qui crée une espèce de convivialité, d’émulation. Doublement, car on est à la fois une femme et souvent dans le one woman show, donc une expérience de la solitude se fait dans le travail.
C’est pour cela que cette année pour le Silo, j’ai fait quelque chose avec deux autres humoristes, Isabelle Parsy (La Belle-mère) et Anne Cangelosi (Mémé casse-bonbons). Je vois bien qu’elles sont super contentes de ne pas travailler de façon isolée et de ne pas affronter seules le plateau du Silo. C’est aussi intéressant car plusieurs générations sont représentées. Anne a quarante ans, Isa cinquante et moi soixante. On a du plaisir à se retrouver, à travailler ensemble. Le Festi’Femmes est l’occasion de rencontrer d’autres artistes femmes jeunes ou moins jeunes, de se parler, de se connaître, d’échanger, de faire naître des projets, des idées. C’est vraiment l’une des réussites du festival.

NF : Nécessaire peut-être pas, mais c’est vrai que ça donne un repère, à titre juste organisationnel, puisque le festival est vraiment inscrit dans la durée et à cette date. Après, si on le déplaçait, ça ne serait peut-être pas grave. Il y a d’autres festivals au féminin qui ne sont pas forcément à cette date-là, mais j’avoue aussi que c’est ce que font la plupart des programmateurs. Moi, cela m’arrive assez souvent d’avoir des propositions pour ce jour-là.
C’est assez classique de programmer des femmes pour la Journée de la Femme, donc je ne sais pas si c’est trop convenu ou si ça permet que les gens le repèrent et s’en souviennent. Et puis Edmonde a raison, c’est mieux que la fête des mères ou le premier avril !

 

Qu’allez-vous présenter le 8 mars au Silo ?

EF : Le plateau est formidable, de qualité, et sera très joyeux. Nous ferons l’ouverture à trois avec Anne Cangelosi et Isabelle Parsy, avec A fond, une petite chose de dix minutes sur trois copines qui font du jogging. Je suis en train d’essayer de faire des choses à plusieurs. Eliane Zayan m’y encourage. J’aimerais un spectacle à trois ou quatre, créé spécialement pour Festi’Femmes et qui tourne. C’est important, encore plus actuellement où c’est dur de survivre dans le milieu du spectacle. Je crois beaucoup à la solidarité et à la mutualisation.

NF : Ce n’est pas un sketch de mon spectacle. C’est un sketch que j’avais écrit pour l’émission de On ne demande qu’à en rire. C’est un déni de grossesse. J’ai hésité, j’en avais un autre sur les zizis qui aurait été pas mal aussi pour la Journée de la Femme, mais je trouvais que celui-là convenait mieux.

 

Vos projets ?

EF : Je suis sur deux films, dont un avec Kad Merad (qui assure aussi la réalisation) et Patrick Bosso. Et un deuxième dont je ne peux pas encore parler. Je suis en écriture en ce moment. D’abord pour moi, mais aussi pour un lieu à Bordeaux. Ça s’appellera Le Cirque à poil et à plumes, un cabaret burlesque sur des vieux sosies dont plus personne ne veut.
J’écris aussi pour d’autres camarades. J’ai également deux dates par mois pour mon dernier spectacle, Sérénade en mer, avec Diego Bordonaro, qui tourne bien. Le public est heureux, Diego aussi et… moi aussi !

N.F : Je suis dans la série Peplum sur M6. En radio, j’officie toujours à la matinale le mercredi (sur France Inter) et j’ai intégré l’émission Si tu écoutes, j’annule tout de Charline Vanhoenacker. Elle est très chouette cette Charline, et belge ! Avec la même équipe, on a créé une déclinaison télé, Je vous demande de vous arrêter, qui sera diffusée en avril sur France 4.
Ah oui ! J’ai oublié de parler de mon spectacle L’œuf, la poule ou Nicole ?… Je suis le 13 mars à Saint-Rémy-de-Provence et le 20 mars à la MJC d’Aubagne. Je crois que c’est déjà complet, c’est une petite salle.

 

Propos recueillis par Maryline Laurin

 

Festi’Femmes : du 6/03 au 11/04 à Marseille.
Rens. 06 82 92 71 11 / www.festifemmes.com

Soirée de gala le 8/03 au Silo avec Edmonde Franchi, Nicole Ferroni, Titoff, Noëlle Perna, Anne Cangelosi et Isabelle Parsy (36 quai du Lazaret, 2e).

La programmation jour par jour du Festi’Femmes ici

Nicole Ferroni – L’Œuf, la poule ou Nicole ? : le 13/03 à l’Alpilium (Saint-Rémy-de-Provence – Rens. 04 90 92 70 37 / www.mairie-saintremydeprovence.fr) et le 20/03 à la MJC l’Escale (Aubagne – Rens. : 04 42 18 17 17 / www.mjcaubagne.com)

Sérénade en mer : le 14/03 à l’Espace Yves Montand (Saint-Cannat), dans le cadre de la manifestation Féminin plurielle. Rens. 04 42 57 34 65 / www.saint-cannat.fr

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