L’imagination au pouvoir

L’EHESS, École des Hautes Études en Sciences Sociales, et la Ville de Marseille se conjuguent pour présenter la quatrième édition du festival Allez Savoir, du 20 au 24 septembre dans de nombreux lieux marseillais, mêlant de multiples propositions, dont le cinéma, sur la thématique « Voyage en utopies ».

Tant d’ambivalences peuvent se dissimuler derrière ce simple mot, utopie. Écartons sa définition grossière d’une réalisation hors de portée, et admettons que son sens revêt une profondeur parfois trop sous-estimée. L’on peut d’ailleurs évoquer que l’utopie serait un simple déplacement de regard, déplacement de la caméra, un changement d’angle élargissant considérablement le champ des possibles. Et il est possible d’affirmer, au regard des réalités devenues communes, pourtant nées d’utopies, que celles-ci sont en effet les vérités de demain. Et qu’importe au fond, est-ce que l’essentiel de l’utopie n’est pas le chemin même, les méandres parcourus, et non le seul point d’arrivée ? Dans L’Utopie cinématographique, Jean-Paul Desgoutte faisait prévaloir l’utopie au cœur des interstices de plans, ou dans l’imaginaire sémiologique du hors-champ. C’est peu dire que ce terme singulier — et pluriel — mériterait une large manifestation, dans une dynamique de transversalité des propositions, pour en définir, collectivement, pleinement le sens. Oh joie, cet événement existe bel et bien, puisque la quatrième édition du festival de sciences sociales Allez Savoir, du 20 au 24 septembre dans une quinzaine de lieux de la cité phocéenne, aura cette année pour thème « Voyage en utopies » ! La vertigineuse programmation mêlant plus d’une cinquantaine d’événements — tables rondes, projections-débats, expositions, balades, rencontres aux musées, spectacles, ateliers, propositions en famille ou encore ateliers pédagogiques, n’en jetez plus ! — parviendra sans nul doute à nous éclairer sur les enjeux humains, politiques, environnementaux, artistiques ou sociaux se réclamant d’une vision utopique. C’est ici la proposition cinématographique qui attire tout particulièrement notre regard, cette dernière étant particulièrement kaléidoscopique et exaltante. À commencer par la projection du film d’Élodie Degavre, La Vie en kit, sur ce projet bercé d’idéal de création de logements en kit, accessibles à tous. Une séance en présence de la réalisatrice, d’Élise Giordano, de Charlotte Lovera et de Luc Joulé d’Image de Ville, partenaire de la soirée. Autre temps fort : la découverte du dernier opus de Shu Aiello et Catherine Catella, Un paese di resistenza. Le duo de cinéastes nous avait déjà conquis avec l’intelligent Un paese di Calabria, et revient ici dans le même village, Riace, en Calabre, où s’était jadis construite l’utopie d’une société harmonieuse issue de divers horizons. Citons, épars au sein de cette remarquable programmation, les films de Raphaël Grisey & Bouba Touré, Utopie du retour au pays, qui raconte l’aventure exemplaire de Somankidi Coura, coopérative agricole fondée au Mali en 1977, de Yael Bartana, And Europe will be stunned, de Joanna Grudzińska, Révolution école (1918-1939) — combat pour un progrès humain, dans le champ pédagogique, à contre-courant des velléités de l’entre-deux-guerres —, ou Virginie Linhart, Vincennes, l’université perdue. De nombreux classiques du cinéma seront par ailleurs les points de départ d’échanges à n’en pas douter passionnants, de L’Arbre, le maire et la médiathèque d’Éric Rohmer à Fitzcarraldo de Werner Herzog, en passant par Pride de Matthew Warchus, L’An 01 de Jacques Doillon, Les Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón ou les deux opus du formidable Alain Guiraudie, Du soleil pour les gueux et Ce vieux rêve qui bouge. Si les désordres de ce monde requièrent aujourd’hui une réinvention, une réinterprétation des utopies, individuelles ou collectives, c’est à ces endroits exacts que nous pouvons encore les façonner.

Emmanuel Vigne

Allez Savoir : du 20 au 24/09 à Marseille.

Rens. : www.allez-savoir.fr

Le programme détaillé du festival Allez Savoir ici