Plans B
Seul festival marseillais à défendre une certaine idée de la musique indépendante par le prisme de la culture rock, B-Side en est déjà à sa huitième édition. Bonne nouvelle : rien n’a changé, sauf la programmation.
Céline est assise en face de moi. Comme l’an dernier, nous sommes attablés à la terrasse du même café, pour évoquer ce festival dont elle tient les rênes depuis neuf ans et presque autant d’éditions : B-Side. Dans un réflexe purement journalistique, j’ai préparé toute une série de questions, j’ai même un petit magnéto à piles logé au fond de ma poche. Autant de béquilles qui ne servent à rien, puisque je sais que la personne en face de moi parle le même langage : celui d’une certaine idée de la musique, indépendante, libre, largement influencée par la contre-culture rock mais dégagée de toute forme de chapelle qui se suffirait de ce seul idiome. B-Side, depuis toujours, illustre la face cachée de la pop culture contemporaine — au sens musical du terme, avec tout ce que cela comporte de privations, de travail en circuit fermé, de « Do It Yourself with a little help from my friends », et surtout… d’énergie. Je pose donc mes fiches à la con et mon verre d’eau gazeuse pour lui poser la première question qui me taraude : alors… vous êtes encore là ? Eh ben ouais, et aussi longtemps que le ciel le permettra. Le ciel, c’est une petite enveloppe institutionnelle, et surtout beaucoup d’huile de coude pour faire venir à Marseille des artistes qui jouent généralement à Paris et dans les grands raouts européens. C’est là que Céline les repère en amont, sur le terrain, avant d’activer le petit noyau de personnes qui l’entourent pour édifier collégialement, de longs mois durant, la prochaine édition du festival. Seulement, depuis 2006 (date de naissance officielle de B-Side), les choses ont un peu changé. Les têtes d’affiche qui venaient s’arrimer à la programmation (Black Lips, Thee Oh Sees, Chk Chk Chk…) se sont retrouvées d’une année à l’autre bookées sur de grandes scènes et leurs cachets se sont envolés. Difficile, dans ces conditions, de pouvoir s’aligner, quand bien même l’essence même de B-Side est de donner la priorité aux concerts (moins aux DJs). En fin de compte, c’est plutôt un mal pour un bien, puisque l’association In The Garage (qui préside à l’affaire) a toujours voulu rendre accessible au plus grand nombre sa proposition, loin des tarifs prohibitifs exigés aujourd’hui par l’industrie du « live » — d’autant que ce sont souvent les musiciens alternatifs qui offrent les meilleures prestations. Une fois encore, B-Side joue donc la carte des prochains groupes à suivre, des « side-projects », des artistes cultes ou appelés à le devenir, et pour ce faire, s’appuie sur un réseau de salles à jauge réduite dans lesquelles on se sent un peu chez soi. La Machine à Coudre, bien sûr, épicentre de la scène rock à Marseille, l’Embobineuse, antre alternatif dont la remise à flot a constitué l’une des meilleures nouvelles de ces dernières semaines, Montévidéo, terrain d’expérimentation arty judicieusement flanqué à l’opposé de ce spectre tapageur, et enfin l’U.Percut pour la toute première fois, et certainement pas la dernière, tant les conditions d’accueil de cette petite salle du centre ville se prêtent à mille et un délices (boire, manger, danser, discuter, boire). Et la programmation dans tout ça ? Alors qu’elle s’était l’an passé concentrée sur deux tendances lourdes (le garage et le psychédélisme), la voici qui étend encore un peu plus son registre : les cinq soirées proposées ici sont plus ou moins thématiques, mais guidées par le même désir de proposer des concerts rares. Pour le détail, c’est ci-dessous, et pour le reste… See you on the other Side.
PLX
Festival B-Side : du 23/05 au 3/06 à Marseille (La Machine à Coudre, U.Percut, Grim/Montévidéo, L’Embobineuse).
Rens. : www.inthegarage.org
La programmation complète du festival B-Side ici
Les soirées à la loupe
The Rebel + Crash Normal
> le 23 à la Machine à Coudre
C’est à la Machine que s’ouvre cette huitième édition, et naturellement, ça sent le garage à plein nez. Enfin, garage… Entendez par là que les musiciens s’attacheront à sonner bien crado. The Rebel, leader des défunts Country Teasers, sonne un peu comme si Mark E Smith (The Fall) débitait ses insanités sur fond de country déglinguée. Il est seul avec sa guitare, son micro, son Stetson et un rack d’effets : un vrai cowboy. Pour leur part, les trois Parisiens de Crash Normal ont l’outrecuidance d’introduire des machines dans leur line-up. Sacrilège ? Non : ils sont régulièrement cités comme des parrains de la scène garage hexagonale. Des synthés et des guitares, il y en a aussi chez les Marseillais de Palm&Dub, nichés quelque part entre post-punk et synth-wave, qui pourraient bien créer l’événement pour cette soirée… garage ? Euh, no comment, si ce n’est que Ventilo est partenaire de ce joyeux bordel.
Etienne Jaumet
> le 28 à l’U.Percut
Ce n’est pas la première fois qu’Etienne Jaumet est à l’honneur de B-Side : on l’y a déjà vu avec Zombie Zombie, le fantastique projet en duo (puis en trio) qu’il partage avec Cosmic Neman. L’homme est obnubilé par les synthétiseurs analogiques, le krautrock, la techno de Detroit ou encore John Carpenter, ce qui peut suffire à définir son territoire d’exploration, cosmique à souhait. De ses débuts avec The Married Monk jusqu’à ses concerts aux côtés de James Holden, il joue avec tout ce que la planète pop compte de musiciens estimables, mais c’est tout seul qu’il viendra ce soir défendre son deuxième album solo. Un « live » purement électro qui donnera le ton de cette soirée placée sous le signe de la danse, puisque deux demoiselles aux goûts sûrs, Marion (Paris) et Pépé (Marseille), s’empareront des platines pour ne plus lâcher vos guiboles. Et il y a fort à parier qu’à l’U.Percut, la sauce prenne.
Laetitia Sadier + Kevin Morby
> le 31 à Montévidéo
Laetitia Sadier est aussi une habituée de B-Side : on l’y a déjà vue… mais en solo, loin du cultissime groupe anglais au sein duquel elle a fait ses armes, Stereolab. Pendant vingt ans et aux côtés de Tim Gane, elle en a été le poumon, insufflant à une musique déjà incroyable (syncrétisme de pop, shoegaze, krautrock, bossa, electronica…) un timbre vocal d’une délicatesse inouïe, reconnaissable entre mille, aussi délicieusement glaçant que suranné. Depuis la fin de Stereolab, Laetitia s’est lancée dans une carrière solo qui la voit opérer dans un registre plus intimiste. Elle se produira en trio, tout comme Kevin Morby qui lui aussi suscite son petit culte. Apparu il y a peu, ce jeune Américain que d’aucuns comparent déjà à Dylan ou Cohen s’est fait connaître en tant que bassiste de Woods et guitariste des Babies. Mais c’est en solo qu’il a ensuite obtenu ses galons de songwriter : à vérifier sur place.
Moon Duo + Acid Baby Jesus
> le 1er à Montévidéo
Deuxième soirée d’affilée à Montévidéo, et changement total de registre : on nage ici en plein psychédélisme. Un psychédélisme très actuel, bien sûr, qui ne s’encombre plus des dogmes générés en leur temps par ses pères fondateurs. Moon Duo, par exemple, doit autant au krautrock de Neu qu’au minimalisme synthétique de Suicide : c’est féroce, hypnotique et métronomique, d’autant que la paire créée par Ripley Johnson (pilier de Wooden Shjips) s’est récemment adjoint les services d’un batteur, ce qui ajoute au côté primal de l’affaire. Plus conventionnels dans leur approche de la chose, mais pas moins teigneux, les quatre illuminés d’Acid Baby Jesus (tout un programme) ont déjà partagé une tournée entière avec les Black Lips, ce qui en dit long sur leur potentiel artistique et leur santé mentale : il pousse des fleurs dans leur garage. Bref : d’ores et déjà l’un des temps forts du festival.
King Khan & The Shrines + Shake Shake Bolino
> le 3 à l’Embobineuse
Comment mieux clôturer le festival autrement qu’en invitant un groupe démoniaque sur les planches d’une salle qui l’est assurément tout autant ? King Khan & The Shrines à l’Embob’, c’est la promesse d’un final en fanfare, avec cuivres et costumes de fête. Généralement paré d’un attirail d’obédience vaudou, généralement à moitié à poil, King Khan, Canadien d’origine indienne installé à Berlin, est une vraie bête de scène, dont la voix éraillée au possible sert merveilleusement une multitude de projets garage depuis bientôt vingt ans. The Shrines est son groupe le plus emblématique : une rencontre inédite entre le MC5 et Wilson Pickett sous le haut patronage de Sun Ra — totalement dément. Dans un registre plus minimaliste mais non moins tapageur, le projet Shake Shake Bolino du guitariste de Cheveu (avec sa compagne) donnera le ton de ce final qui s’annonce mémorable.
PLX