Festival d’Avignon
Marchez commun
Deux jours supplémentaires de festival, l’espagnol en langue invitée, la « terroriste de la beauté » Angélica Liddell dans la Cour d’honneur, trente-cinq spectacles engagés… La 78e édition du Festival d’Avignon promet des palabras ardientes.
La deuxième fois est toujours celle de l’attente au tournant, de la validation d’un succès. Pour sa deuxième édition à la tête du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues devra confirmer ses bons résultats de 2023 en termes de fréquentation, d’inclusion et de découvertes de nouveaux talents. En plus de ramener l’attention sur la culture en ces temps d’omniprésence des J.O., il devra prouver que sa stratégie de privilégier des séries de représentations plus longues impliquant moins de spectacles est un atout de plus dans l’accessibilité aux œuvres pour tous. Déjà, la case de la parité est cochée : un nombre identique de dix-neuf femmes et hommes mettront en scène des formes variées de spectacles vivants, incluant même cette année du cirque.
Avec Qui som?, la compagnie circassienne franco-catalane Baro d’evel s’inscrit dans la lignée du mot d’ordre lancé par Tiago Rodrigues lors de sa conférence de presse : « Rechercher les mots ensemble ». Pour leur treizième création, Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias ont voulu croiser un maximum de disciplines, avec au plateau des danseurs, comédiens, musiciens, acrobates et même des céramistes issus de pays et de générations différentes : Chen-Wei Lee, Yolanda Sey, Julian Sicard, Marti Soler, Miguel Fiol, Dimitri Jourde (vu chez Martin Zimmermann) et avec Jean-Baptiste André… Par l’intermédiaire de rituels, Qui som? propose de se reconnecter ensemble à la recherche d’un monde plus heureux. La compagnie est passée de la rue au chapiteau avec le sublime Bestias, avant d’arriver dans les théâtres avec Falaises, empreint d’humour et de poésie.
Secouer les consciences au risque de choquer
Tiago Rodrigues s’est engagé ouvertement dans les débats qui accompagnaient les élections européennes 2024. L’auteur de Catarina et la beauté de tuer des fascistes, fervent défenseur de la démocratie, a signé, avec l’artiste associé de son édition 2024 Boris Charmatz, un édito dans Libération intitulé Européennes 2024 : exclure la culture du débat politique est une trahison. « Tout véritable projet européen a besoin d’idées ouvrant de nouvelles voies. C’est justement le superpouvoir de la culture et des arts : inventer ce qui nous paraissait impossible, imaginer des débuts là ou où la fin semblait inévitable. » Une position vaillante que ce rappel à l’ordre des politiques sur un des piliers de la démocratie : le droit à la culture. Pour le metteur en scène portugais, sa mission à la tête du plus grand festival de théâtre du monde, et plus encore aujourd’hui, est « de soutenir les discours artistiques et esthétiques qui peuvent nous bouleverser, nous bousculer, mais qu’on considère comme essentiels à partager avec le public. » Cette 78e édition du Festival sera donc une tribune, un état des lieux du monde actuel avec la possibilité de le rendre meilleur, le temps d’un spectacle ou à long terme par les prises de consciences qu’il pourrait susciter. Plusieurs lieux de réflexion sont proposés gratuitement. Le Café des Idées abordera plusieurs sujets calientes : « Antisémitisme et islamophobie, deux concepts en miroir ? », « Création et handicaps : quelle place pour les personnes en situation de handicap dans la création ? », ou encore « Justice et éthique » lors d’une conversation avec Christiane Taubira et Laure Adler… Sans oublier le Souffle d’Avignon 2024, un cycle de lectures à 18h30 proposé par les Scènes d’Avignon et le Festival. Ne manquez pas Flema – Une Patte retombe toujours sur ces Chattes, lecture-performance de et par la sulfureuse Rébecca Chaillon et au Théâtre du Balcon, et 65 Rue d’Aubagne de Mathilde Aurier, sur les effondrements tragiques du 5 novembre 2018 à Marseille.
La Cour d’honneur, de vitrine en tribune
Encore davantage que l’année dernière, la Cour d’honneur sera hautement politique. Qui d’autre que celle qui « rêve d’un théâtre qui aurait la force d’une religion et où l’on prierait pour un salut collectif » pouvait faire l’ouverture du festival ? Avec Dämon (El funeral de Bergman), la très controversée performeuse espagnole Angélica Liddell entrainera les comédiennes et comédiens du Dramaten – The Royal Dramatic Theatre de Suède et sa compagnie dans une plongée dans les affres de la mort et de la vanité. Les murs du Palais des Papes en tremblent déjà…
Dans un second temps, avec Mothers (A Song for Wartime), c’est la jeune metteuse en scène polonaise Marta Górnicka qui y mettra en scène un chœur de femmes d’Ukraine, de Pologne et du Biélorussie, dans un pamphlet musical, témoignage d’oppressions et force de vie.
La dernière partie du festival signera le grand retour de Krzysztof Warlikowski avec Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux.
Avec la langue
Dès le 29 juin dans la Cité des Papes, l’espagnol sera la langue dominante, drainant dans son sillage toute la nouvelle garde hispanique à l’instar des Argentins Mariano Pensotti, Lola Arias et Tiziano Cruz, de l’Uruguayen Gabriel Calderón, ou de la Péruvienne Chela De Ferrari qui travaille avec des artistes malvoyants. Ainsi que de la Suisso-Espagnole La Ribot, qui a largement marqué la danse contemporaine. Accompagnée par l’Orchestre de chambre de Saragosse et un chœur polyphonique, elle retrouve pour Juana ficción le danseur et comédien Juan Loriente. Avec une approche protéiforme et à base d’improvisations, Maria Ribot explore un sujet qu’elle a déjà abordé il y a trente ans : le destin d’une reine oublié de l’histoire, Juana I de Castilla.
Femmes, femmes, femmes
Une autre reine sera à l’honneur, celle de Troie, l’épouse de Priam : Hécube. Tiago Rodrigues redevient metteur en scène et en bonne compagnie, celle de la Comédie-Française et des comédiens Éric Génovèse, Denis Podalydès, Loïc Corbery, Elsa Lepoivre, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi… Tiago Rodrigues aime juxtaposer les mondes jusqu’à la friction puis la fiction. Hécube, pas Hécube est l’aventure d’une femme qui est toutes les femmes et toutes leurs souffrances, leurs combats dans un désir ultime de justice.
Un geste vers le bas, le dernier livre de Bartabas, raconte sa rencontre avec la chorégraphe allemande Pina Bausch. Preuve en est que des univers aussi éloignés peuvent se rejoindre dans le simple fait d’un rapport commun à la création, à la recherche, au monde. Boris Charmatz, directeur du Tanztheater Wuppertal fondé par Pina Bausch, fera revivre la papesse de la danse dans la mémoire de Café Müller durant sept heures à la FabricA. Plusieurs films lui seront aussi consacrés dans le programme Territoires cinématographiques.
Femme encore, assassinée cette fois-ci. Baptiste Amann qui, à l’arrivée de Tiago Rodrigues, lui avait fait visiter ses Territoires avignonnais de Monclar, revient au festival avec Lieux Communs. Dans une forme de thriller, il nous invite à sortir des clichés pour aller vers une notion que partage totalement le directeur du Festival d’Avignon : « faire monde commun ». Quelle belle occasion de retrouver ses acteurs fétiches, Alexandra Castellon, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, et de se délecter à nouveau de son immense talent d’auteur !
Friand de collaborations territoriales, Tiago Rodrigues s’associe pour son concert de clôture avec Les Suds, à Arles pour une performance qui s’annonce mémorable de la belle chanteuse et auteure-compositrice espagnole Sílvia Pérez Cruz.
Cette année, le tube de l’été ne sera pas Vamos a la playa, mais Vamos caminemos juntos au Festival d’Avignon !
Marie Anezin
Festival d’Avignon : du 29/06 au 21/07.
Rens : festival-avignon.com