Festival Dansem 2015
Transit
La dix-huitième édition de Dansem affirme encore plus fort le dessin d’un territoire de la danse contemporaine où l’Italie répond en écho au Maghreb. Cette politique de programmation voulue par Cristiano Carpanini donne à ce festival une véritable indépendance culturelle et valide la nécessité d’un budget qui se doit d’être à la hauteur.
La danse se moque-t-elle des conflits aux Moyen-Orient qui résonnent à nos frontières et voit des millions de personnes déplacées contre leur volonté ? De ces masses qui flottent sur les eaux ou attendent à des postes frontières, la peinture et la photographie s’en inspirent allègrement. L’image choc, au-delà d’être marchande, véhicule une théâtralité qui la rend plasticienne et donc supportable aux yeux de tous. La danse, c’est avant tout un corps dans l’espace, mais ce corps n’est pas représentatif de la foule ou de la masse, il exprime la singularité, l’exception, l’accent sur le « é » et le point sur le « i ». Il est donc difficile de lui demander de s’occuper de la question de Daesh. La peinture a su se recentrer sur l’abstraction avec l’avènement de la photographie, quittant un réalisme devenu désuet pour mieux redécouvrir la puissance de la couleur et la liberté du trait. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la création italienne, fortement influencée par le dramaturge Romeo Castellucci, fasse fi de l’actualité pour rentrer toujours plus fort dans une inventivité scénographique qui transporte les corps à la manière d’un jeu de mikado où tout s’entremêle et se recompose dans un jeu permanent. Dans cet autisme de l’actualité réside une poésie contemporaine qui résiste au scénario de la panique, soigneusement orchestré par les enjeux politiques d’une Europe qui s’essouffle dans sa construction et le sens qu’elle veut lui donner. De Michele di Stefano à Alessandro Sciarroni, c’est un formidable éventail de l’inventivité qui s’ouvre sous nos yeux. Et certainement un modèle en devenir ou peut-être quelque chose qui appartient déjà au passé. La création contemporaine avance sur un fil et le résultat n’est jamais le même selon qu’on tombe à gauche ou à droite. Du côté du Maghreb, la danse contemporaine a su s’affranchir du carcan de la représentation de la femme pour mixer les corps à la manière d’une danse unisexe où chacun reprend sa liberté et son désir de dire « je ». Les choses vont un peu plus loin maintenant, puisque le chorégraphe aime les voyages et les cultures de l’autre rive s’entremêlent aux nôtres ou celles de nos voisins (Bruxelles), pour brouiller les pistes et nous étonner chaque jour un peu plus. Dansem avance et grandit dans cet engagement et cette confiance accordée à ce qui est loin de nous ou ce qui sort de nos habitudes. De la Turquie à l’Egypte, en passant par le Liban, le Maroc, la Tunisie et Israël, chaque édition a su nous montrer la pertinence d’un auteur et la force de son engagement. Nul doute qu’il en sera de même cette année.
Karim Grandi-Baupain
Festival Dansem : du 20/11 au 6/12 à Marseille, Aix-en-Provence et Arles.
Rens. : 04 95 04 95 95 / www.dansem.org
Les immanquables du festival
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E-ink par la Cie mk (Michele Di Stefano)
Créé en 1999, E-ink, la première pièce du collectif mk, aborde des territoires qui sortent du langage commun. A la frontière de l’irréel et du paroxystique, le corps plonge dans un langage des signes et un processus de pensée proche de la désorientation. La danse a de tout temps aimé être codifiée, en voici une énième version.
> Les 20 & 21/11 au Théâtre de Lenche (4 place de Lenche, 2e)
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Archive de et par Arkadi Zaides
Par ce qu’il faut des contradicteurs, Arkadi Zaides a décidé d’introduire une dimension politique dans sa pièce Archives. En donnant des caméras à la jeunesse palestinienne, il confronte la danse au chaos de la colonisation et pose un regard lucide sur la responsabilité d’Israël, son pays.
> Les 24 & 25/11 à Montévidéo (3 impasse de Montévidéo, 6e)
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Folk-s (Will You Still Love Me Tomorrow ?) par le Teatro Stabile delle Marche (Alessandro Sciarroni)
Il nous avait étonné l’année dernière en orchestrant un ballet de jonglage sans début ni fin à la manière d’un courant imperceptible qui agrandit l’espace et livre le spectateur à ses pensées. Une manière contemplative de détourner l’apesanteur et de mettre le corps au service de l’objet. Alessandro Sciarroni aime interroger l’existence et la validité de la danse en installant des protocoles proche du dogme.
> Les 9 & 10/12 au Théâtre Joliette-Minoterie (2 place Henri Verneuil, 2e)
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Aringa Rossa par la Cie Eda (Ambra Senatore)
La création Aringa Rossa est une ode à la fluidité d’un geste qui circule de corps en corps, dans un agencement qui file à l’autre bout de la pièce, entrecoupé de virgules, de points, de moments d’extension. Là où la danse se fait plaisir en toute simplicité, à la manière de notre série préférée. Quelque chose que l’on maitrise et qui nous fait du bien.
> Le 12/12 au Théâtre du Merlan (Avenue Raimu, 14e)
Le programme complet du festival Dansem ici