Festival d’Avignon 2017
Les têtes dans les nuages
Plus engagée que légère, la soixante et onzième édition du festival d’Avignon flirte avec les cieux et les cumulonimbus qui voilent l’horizon de notre monde troublé, où le climat politico-social, (r)échauffé, pèse sur la tempérance.
C’est avec force d’espoir et d’élan qu’Olivier Py tente l’élévation en présentant le cru 2017 du festival In d’Avignon. Une ligne qui se veut politique — mais pas partisane —, véritable et pourtant immatérielle. Vingt jours pour cinquante œuvres — quarante et un spectacles et neuf sujets à vif —, pour déconstruire, oser dire, se demander, fondre en larmes, imaginer. Vingt-deux pays représentés et cette année encore, une parité non atteinte puisque 37 % seulement des artistes sont des femmes. « Oui, il faut savoir être minoritaire par amour de la vérité. » Or si, les chiffres comptent. Dans un événement d’une telle envergure économique et culturelle, et dans le monde, désespérément.
Têtes de gondoles
Les bons contes créant des amitiés durables, on retrouve sur cette édition des artistes renommés déjà accueillis dans la cité des Papes.
Frank Castorf, qui vient d’être remercié de la Volksbühne de Berlin, crée son « Impromptu » par le biais de deux romans de Mikhaïl Boulgakov, Die Kabale Der Scheilheiligen (La Cabale des Dévots), et Das Leben Des Herrn De Molière (Le Roman de Monsieur Molière).
À travers la figure d’un historien maître d’une conférence froide et rigide, Le Sec et l’Humide, du Flamand Guy Cassiers, explore la matière langagière et sonore nazie grâce à un dispositif technologique immersif (le « voice follower » développé par l’Ircam) et le point de bascule du sec à l’humide, du bien au mal, de l’être humain vers le monstre. Il est toujours question de frontière dans Grensgeval (Borderline) : le metteur en scène s’allie à la chorégraphe Maud Le Pladec sur un texte d’Elfriede Jelinek, où paroles et corps, en vagues intransigeantes roulent et s’emmêlent, interrogeant le sort des réfugiés, du cimetière Méditerranée et de notre rapport à l’étranger.
Dans Sopro, le Portugais Tiago Rodrigues révèle, en la faisant monter sur scène, la mémoire vivante d’un théâtre en ruines : sa souffleuse, transformée du même coup en comédienne et en affabulatrice.
Emma Dante, quant à elle, donne en pâture un spectacle bestial et profondément humain, Bestie Di Scena, avec une scène et des interprètes entièrement nus.
Après le Mahabharata présenté en Avignon en 2014, Satoshi Miyagi s’attaque au mythe d’Antigone, qu’il dépayse radicalement en inondant la cour d’honneur du Palais des Papes dans une version ritualisée de la tragédie jouant avec les éléments.
Têtus d’Afrique
Après le Moyen-Orient l’an passé, c’est au tour de l’Afrique Sub-Saharienne de se voir offrir une tribune, en la forme d’un focus comprenant sept spectacles, parmi lesquels beaucoup de danse, notamment Unwanted de la chorégraphe rwandaise Dorothée Munyaneza, rescapée du génocide dans son pays, qui se confronte à la stigmatisation des victimes des « armes de destruction massive » que sont les viols en zones de conflit ; Kalakuta Republik du Burkinabé Serge Aimé Coulibaly, qui s’inspire et rend hommage à l’illustre Fela Kuti ; et le chorégraphe sud-africain Boyzie Cekwana, dans le spectacle « indisciplinaire » The Last King of Kakfontein, sur un dictateur en passe d’être déchu.
À ces corps dansés s’ajoutent le conte Dream Mandé Djata, mis en musique par Rokia Traoré dans la tradition des griots, et le poème Femme Noire de Léopold Sédar Senghor, autour duquel la chanteuse béninoise Angélique Kidjo, le comédien ivoirien Isaach de Bankolé et le saxophoniste camerounais Manu Dibango, accompagnés d’invités, composeront la soirée de clôture du festival dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.
Or, force est de constater le manque — au vu de l’édito d’Olivier Py, dans lequel il désigne justement les mots comme fondements de l’espérance — paradoxalement éloquent, d’auteur(e)s, metteur(se)s en scène et dramaturges africain(e)s dans cette programmation, ce qui a eu pour effet de faire monter au créneau, entre autres, Eva Doumbia et Dieudonné Niangouna. « Inviter un continent sans sa parole est inviter un mort », a ainsi réagi l’auteur, metteur en scène et comédien dans une diatribe volontairement opiniâtre.
Têtes d’ici et d’ailleurs
Pour Saigon, Caroline Nguyen et son équipe ont fait de multiples allers-retours entre Ho-Chi Minh et la France, réunissant plusieurs voix françaises, vietnamiennes, franco-vietnamiennes, qui s’inventent, plongées dans un espace-temps nostalgique marqué par l’histoire et la question des racines.
Memories of Sarajevo et Les Ruines d’Athènes sont les deux premiers volets de la tétralogie Europe Mon Amour de Julie Bertin et Jade Herbulot, fondatrices du Birgit Ensemble, dans lequel elles tentent d’imaginer de nouveaux possibles sur un double plan artistique et politique. Dans le premier, les metteuses en scène reviennent sur le siège de Sarajevo de 1992, juste après la création de l’Union Européenne, et font résonner les histoires parallèles des assiégés et des dirigeants. Les Ruines d’Athènes prend la forme satirique d’une émission de télé-réalité, Parthenon Story, dans laquelle les participants prénommés Oreste, Bérénice et Europe se prêtent à un jeu voyeuriste et cruel dont la mise est la dette grecque.
À l’instar d’Alain Badiou et Nicolas Truong l’an passé, le Jardin Ceccano se fera une nouvelle fois l’agora d’une pensée en lutte et en lettres, sous la houlette de Christiane Taubira et d’Anne-Laure Liégeois dans On Aura Tout, au corpus important composé entre autres de textes de Maya Angelou, Frantz Fanon, Aimé Césaire, Toni Morrison, Olympes de Gouges, Virginia Woolf, Jean Genet ou encore Marguerite Duras, mis en jeu par des amateurs et des élèves du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique.
Élèves qu’on retrouve peut-être dans Claire, Anton et Eux, de François Cervantès, réceptacle hospitalier de leurs fragments familiaux personnels, réels ou chimériques.
À noter également, la présence dans les « Sujets à Vif » de Jann Gallois et Lazare pour L’Éclosion des gorilles au cœur d’artichaut et de Julien Mabiala Bissila et Adell Nodé-Langlois pour Le Rire pare-balles, ainsi que de Julie Kretzschmar, directrice du festival Les Rencontres à l’Échelle et de la compagnie marseillaise L’Orpheline est une épine dans le pied, qui présentera une mise en lecture retransmise sur RFI de sa nouvelle création, Tram 83, adaptée du roman du Congolais Fiston Mwanza Mujila, qui raconte le Congo contemporain.
Enfin, outre l’adaptation de son dernier roman Les Parisiens, qui suit le parcours d’un provincial bien décidé à conquérir la capitale, le maître de cérémonie Olivier Py présentera à la Maison Jean Vilar le Hamlet qu’il a monté l’année dernière avec des détenus du centre pénitentiaire d’Avignon-Le-Pontet.
Une édition résolument portée sur les problématiques économiques, sociales et politiques de notre temps, auxquelles les Ateliers de la Pensée, qui émaillent tout le festival, tenteront d’apporter des éléments d’ancrage et de réflexion.
Barbara Chossis
Festival d’Avignon : du 6 au 26/07 à Avignon.
Rens. : 04 90 14 14 14 / www.festival-avignon.com
Le programme détaillé du festival d’Avignon ici