Festival de Marseille 2015
Gone girl
Apolline Quintrand tire sa révérence après vingt années passées à la tête du Festival de Marseille. L’occasion de faire le point sur les temps fort d’un événement qui a l’art de déplacer les foules et de créer des polémiques révélatrices de l’éternel combat entre grandes et petites structures, entre syndicats et pouvoir d’Etat.
La danse est-elle un parent pauvre de la culture contemporaine ? Pas si sûr, dès lors qu’elle nous interpelle sur la question du geste et de son contenu. De Merce Cunningham à Alvin Ailey, de Bill T Jones à Peeping Tom, Apolline Quintrand a su convoquer des têtes d’affiche qui, dans un instant rapproché, créent une formidable dissonance dans la perception du mouvement et de son synopsis. Le Festival de Marseille aime couver un public toujours plus nombreux en lui offrant ce qu’il demande : l’authenticité, la beauté du geste, la tendance du moment. Mais au-delà de ce consensus, il nous reste des instants d’une grâce étrange, là où ça grince, ça cogne, et on ne peut s’empêcher de se remémorer la présence de Michael Clark, chorégraphe écossais invité en 2006 et 2008, certainement le plus bel ovni de ces dix dernières années. Pour cette édition, Apolline Quintrand ne déroge pas à la règle de la pluralité. Le Ballet de l’Opéra de Lyon sera la caution d’une danse qui convoque de la tenue avec des pièces de William Forsythe et de Benjamin Millepied ; Anne Teresa de Keersmaeker, chorégraphe maintes fois invitée (presque une copine) nous donnera rendez-vous avec une gestuelle proche du suave ; et pour le brutal et le politiquement incorrect, on fera de nouveau appel à la création flamande avec le collectif KVS (David Van Reybrouck, Raven Ruëll et Bruno Vanden Broecke) et Wim Vandekeybus. Toutefois, un nom nous interpelle, celui de Willi Dorner, chorégraphe autrichien ayant collaboré avec Mark Tompkins et dont le protocole de création repose sur la manière dont le corps peut épouser les recoins d’une ville. Ce festival commencera donc par une parade et qui dit parade, dit célébration d’un départ et d’une arrivée.
Karim Grandi-Baupain
Festival de Marseille : du 14/06 au 17/07 à Marseille.
Rens. : 04 91 99 02 50 / festivaldemarseille.com
Les immanquables du festival
Mission par la Cie KVS
Mission est le cadeau qu’Apolline Quintrand dit s’offrir pour les vingt ans du festival : reprendre le sublime monologue de Bruno Vanden Broecke, que peu de spectateurs avaient pu voir en 2011 à la Salle Vallier. La performance de cet acteur, véritable star en Flandre, a été saluée unanimement en Belgique et reste, après une tournée internationale, toujours d’actualité. C’est tout simplement le bouleversant portrait d’un missionnaire belge au Congo. Sa forme épurée — un acteur au pupitre commentant son quotidien — amène intelligemment le spectateur à entendre le récit des horreurs du post-colonialisme. Porté par la mise en scène de Raven Ruëll, le texte de David Van Revbrouck se nourrit des histoires de ces hommes de foi partis loin pour prêcher et pose la question des absolus et de leurs dangers. Un spectacle coup de poing.
ML
> les 23 & 24/06 à la Friche La Belle de Mai (Grand Plateau)
Hofesh Schechter deGeneration
Inédit à Marseille, le langage de cet artiste israélien établi à Londres, expert en effets spectaculaires, est un miroir des réalités, des tensions, de la violence et des énergies contradictoires qui gouvernent la société. Rien de vide ou de gratuit dans ces flashes éclairant l’homme du nouveau siècle. Une écriture toute en force, terrienne, mêlant maîtrise de l’espace et émulation de la transe. Une danse sur le pied de guerre, savante dans sa déglingue où la musique joue un rôle à part entière pour une fusion des matières rythmiques. Parmi les trois pièces constituant le spectacle, une création, pour laquelle le chorégraphe a choisi de travailler non pas avec les artistes de sa troupe, mais avec de très jeunes gens venus du monde entier, dont l’appétit et l’esprit de compétition l’ont furieusement motivé.
OP
> les 25 & 26/06 à la Criée
Nacht + Rosas danst Rosas par la Cie Rosas
Anne Teresa De Keersmaeker détient le record de passages au Festival de Marseille et retrouve un public conquis année après année. Figure incontournable de la danse contemporaine, ATDK s’est précisément imposée avec Rosas danst Rosas (1983), spectacle culte qu’elle présente ici avec une nouvelle distribution, trente ans après. Via une écriture chorégraphique toujours en imbrication avec la création musicale sur laquelle elle fait interagir ses danseurs jusqu’à l’épuisement, ATDK redéfinit l’espace. Décidément tournée vers le passé, elle présente aussi cette année une autre pièce de son répertoire : Verklärte Nacht. La chorégraphe belge lui redonne vie vingt ans après grâce à une réécriture totale, tendant vers une forme plus épurée, intimiste (un seul couple subsiste sur les six de la version originelle) et une partition musicale d’Arnold Schönberg relue avec sobriété par Pierre Boulez.
ML
> Verklärte Nacht : les 2 & 3/07 au Ballet National de Marseille
> Rosas danst Rosas : le 4/07 au Silo
Un sacre du printemps par la Cie Hiatus
Deux ans après Sasha Waltz, qui célébrait le bicentenaire de l’œuvre originelle par le duo Nijinski/Stravinski, Daniel Linehan livre à son tour sa version de l’incontournable partition à scandales. Son Sacre du Printemps envoie valser les codes dans les cordes, s’appuyant sur les scansions de la musique et jouant de la relation spectateurs/danseurs/musiciens. Un dispositif scénique triangulaire participe au croisement des regards, au floutage des frontières cher à Linehan, ici mis en exergue par des passages à la lisière de la performance où le texte point. Révélant l’instinct de vie qui bat dans la cadence symphonique, au détriment de la pulsion morbide classiquement représentée, le chorégraphe met de côté le sacrifice pour faire place à la vibration de la rencontre, à « l’expérience commune, vitale, intériorisée et physique, des formes possibles de commencements et de devenirs. »
BC
> Les 6 & 7/07 au Ballet National de Marseille
What the body does not remember + Speak low if you speak love par la Cie Ultima Vez (Wim Vandekeybus)
Wim Vandekeybus, dont on se souvient encore du spectacle Blush dans la cour de la Vieille Charité en 2003, est l’un des piliers du festival, où il offre souvent la primeur de ses créations en France. Ce sera le cas avec Speak low you speak love, après sa première mondiale à Mons, Capitale européenne de la culture. Insaisissable et fantasque, il convoque ici l’amour dans une pièce envoûtante où se rencontrent musique rock, danse contemporaine et néoclassique. Le chorégraphe belge remonte également sa toute première pièce, What the Body Does Not Remember, confrontation brutale de la danse et de la musique dans un paysage dangereux et combatif. Ecrire, photographier, filmer, chorégraphier, danser… Tout intéresse Vandekeybus, qui dit de la danse : « Elle n’existe pas en soi, elle est inhérente à autre chose… »
ML
> What the body does not remember : le 9/07 à la Criée
> Speak low if you speak love : le 11/07 au Silo
Valser par le Ballet du Capitole
La danseuse contemporaine Catherine Berbessou se passionne depuis le début des années 90 pour le tango et son univers. Elle a étudié ce langage très spécifique et toute la culture qui l’environne auprès des meilleurs maîtres argentins. Le tango est ici frotté à la danse contemporaine dans le but d’en éclater la codification, d’en styliser les émotions pour en dégager la puissance phénoménale. Valser, titre ironique fait pour accrocher, c’est envoyer valdinguer le tango, cette danse très intentionnelle, passionnelle où transpirent violence, désir et sensualité dans le sens d’un duel ritualisé. C’est explorer, au milieu d’une arène de terre battue tendue de cordes, tel un ring sensuel, les rapports homme/femme dans une confrontation sauvage avec la conviction que le combat est aussi une fête.
OP
> le 16/07 au Silo
Le programme complet du Festival de Marseille ici