Festival de Marseille
Phare à Phocée
Pour sa vingt-huitième édition, le Festival de Marseille se déploie dans toute la cité pour prendre le pouls de la création contemporaine tout autant que celui du monde dans lequel nous vivons. Tour d’horizon(s).
C’est le plus marseillais des festivals. Et pas seulement parce qu’il porte le nom de la ville.
La programmation, ultra cosmopolite, suffit à élargir ses horizons géographiques, même si nombre de propositions célèbrent la cité phocéenne, « sa diversité, ses habitant·e·s, la vitalité de sa scène artistique », comme le souligne dans son édito la directrice du festival Marie Didier. Mais ce qui fait du Festival de Marseille un événement singulièrement ancré dans son territoire, c’est son public, ou plutôt ses publics, au(x)quel(s) est portée une attention toute particulière. Un coup d’œil au menu du site web de la manifestation suffit à s’en rendre compte, puisque l’une des cinq occurrences annonce, entre le programme et les infos pratiques, « Un Festival pour les Marseillais·e·s ». Dans un entretien qu’elle nous accordait l’an passé, Marie Didier affirmait d’ailleurs l’importance « que la majorité des spectateurs soient d’ici, et que cela demeure ainsi », précisant vouloir en priorité « agrandir [la] base sociale » du festival. Ce que matérialise parfaitement sa politique tarifaire, avec des tickets compris entre 5 et 10 euros, et une billetterie solidaire à 1 euro accompagnée de programmes de médiation gratuits menés en amont. Ce que traduit aussi toute une série d’ateliers et d’animations gratuits et ouverts à tous·tes (dont une expérience capillaire pour le moins inédite, dans laquelle ce sont des enfants de dix ans qui tiendront les ciseaux…), ainsi qu’un programme d’éducation artistique et culturelle proposé tout au long de l’année auprès d’un millier d’élèves et d’étudiant·e·s.
Au-delà de ces actions concrètes, la programmation reflète également la volonté d’accessibilité et d’inclusivité de l’équipe du festival : « C’est un aspect assez important de l’équation que de proposer des œuvres qui résonnent avec les préoccupations et les désirs des gens. Il ne s’agit pas forcément de donner ce que les gens attendent, mais quelque chose qui les concerne. » Et ce qui était valable l’an dernier l’est encore pour cette édition, qui foisonne de créations dont le mouvement, les corps habités par les urgences écologiques, politiques et sociales bouleversant le monde sont le moteur.
Autant de révolutions contemporaines dont la jeunesse est porteuse, comme en témoignent les solos, intimes et universels à la fois, que Benjamin Kahn a respectivement chorégraphiés pour et avec Cherish Menzo, Sato Veyrunes et Théo Aucremanne (le 17 juin à la Criée, les 30 juin et 1er juillet à Klap). Ou les pièces dansées de Marina Gomes qui, avec sa compagnie Hylel, met en lumière la culture urbaine des quartiers populaires, et dont la dernière création, Bach Nord [Sortez les guitares], propose, en réaction au film homonyme de Cédric Jimenez, une vision nuancée de la vie des jeunes des cités, aussi poétique que puissante (les 18 et 19 juin au Théâtre de la Sucrière). Ou encore la nouvelle création d’Alice Ripoll, Zona Franca, qui, imaginée entre la fin du mandat de Bolsonaro et le retour de Lula à la tête du Brésil, déploie en un mouvement explosif et libérateur les aspirations et les espoirs de la jeunesse brésilienne (les 6, 7 et 8 juillet à la Friche). Fruit de la rencontre entre la compagnie Shonen et le groupe d’ados Waka Starz, dont les clips cumulent des millions de vues sur YouTube, Waka <o> Criée dessine quant à lui le portrait de la jeunesse ougandaise à travers une création hybride, à la croisée de la performance chorégraphique, du documentaire et du stand-up (les 22, 23 et 24 juin à la Criée). Assurément l’un des temps forts du festival, qui confrontera les préoccupations somme toute universelles de cette nouvelle génération (autodétermination des femmes, lutte contre les violences faites aux enfants…) à l’actualité dramatique du pays, dont les autorités viennent de promulguer une loi « anti-homosexualité » considérée comme l’une des plus répressives au monde.
Face à ce « vieux monde » qui ne sait que trop bien résister aux révolutions d’aujourd’hui, le Festival de Marseille réaffirme le besoin d’altérité, la force du commun, la transcendance du collectif. Pour démarrer les festivités, Parades & Désobéissances d’Aina Alegre convie ainsi cent danseur·se·s amateurs·rices marseillais·es à se relier à travers l’expérience de la danse dans l’écrin majestueux du Fort d’Entrecasteaux, qui rouvre enfin ses portes surplombant le Vieux Port au public sous le nom de La Citadelle de Marseille (les 17 et 18 juin). Nolwenn Peterschmitt du Groupe Crisis et Emanuel Gat célèbrent également le collectif dans leurs dernières créations respectives : la première avec Unruhe, chorégraphie fiévreuse et libératrice inspirée de la mystérieuse épidémie de danse qui aurait frappé Strasbourg en 1518 (le 5 juillet au Parc Longchamp), le second avec Lovetrain2020 qui, comme son titre ne l’indique pas, est une ode joyeuse et festive aux années 80 (les 26 et 27 juin à la Criée).
Les autres occasions de faire sens commun ne manqueront pas, entre l’exploration de la culture skate par Mette Ingvartsen (Skatepark, les 8 et 9 juillet à la criée), une création inédite réunissant le chorégraphe Amala Dianor, le musicien électro-soul Awir Leon et le photographe et réalisateur Grégoire Korganow (Love You, Drink Water, les 22 et 23 juin à la Criée), et la nouvelle pièce du chorégraphe marocain Taoufiq Izeddiou, qui nous emmène dans une transe Hors du monde (les 4 et 5 juillet au Théâtre Joliette).
Loin d’être hors du monde, le Festival de Marseille lui donne rendez-vous pendant trois semaines, faisant battre le cœur de la cité au rythme du « vivre ensemble ».
Cynthia Cucchi
Festival de Marseille : du 17/06 au 9/07 à Marseille.
Rens. : www.festivaldemarseille.com
Le programme complet du Festival de Marseille ici