Festival de Marseille F/D/Am/M 2010

Festival de Marseille F/D/Am/M 2010

Bal au cœur

Avant Aix et Avignon, Marseille ouvre la danse des grands festivals de l’été, avec une programmation très dense.

Le Festival de Marseille n’en est plus à ses premiers pas : quinze ans que l’événement vient ponctuer le début de notre été, en nous présentant des évènements de prestige. Cette nouvelle édition, la deuxième sous l’appellation Festival de Danse et des Arts multiples de Marseille — F/D/Am/M pour les intimes —, se veut danse et dense. Plus de vingt propositions feront battre le cœur du festival, que sa directrice Apolline Quintrand veut situer dans la perception d’un monde sensible.
La danse domine donc cette programmation, où l’on peut par ailleurs distinguer cinq axes presque spatio-temporels. Côté Atlantique nord, un focus sur la danse canadienne avec la chorégraphe Ginette Laurin (déjà invitée l’an passée, qui ouvrira et clôturera le festival) et les performeurs Paul-André Fortier et Rober Racine. La danse américaine sera aussi à l’honneur, sous la forme d’un hommage à Merce Cunningham, père fondateur de la danse contemporaine s’il en est, disparu l’été dernier. Deux anciens danseurs de sa compagnie, Jonah Bokaer et Cédric Andrieux (sous la direction de Jérôme Bel), viendront témoigner de cette expérience qu’ils ont mis différemment à profit, tandis que des vidéos du maître seront proposées par Marseille Objectif Danse, activiste à l’année de notre territoire chorégraphique.
De l’autre côté du monde et de l’Océan Pacifique, quatre chorégraphes japonais — Saburo Teshigawara, Megumi Nakamura, Shiro Takani et Yaoyoi Kusama — auront une approche de la danse très virtuose, tant dans l’exécution technique que dans les scénographies épurées et sophistiquées dont ils sont passés maîtres. Et à l’invitation faite par Jean-Marc Montera à Ikue Mori, Nissenmondai et Tenko, la musique expérimentale nippone fera aussi ses jeux d’improvisation, en célébrant la fin de partie du festival.
Car s’il est une chose certaine, c’est que la musique retrouve ici une place de choix dans la danse. Dans les propositions citées ci-dessus, avec la convocation des génies de la musique contemporaine que sont Michael Nyman, Steve Reich, les incroyables Irrepressibles ou les musiciens japonais invités dans le cadre de la carte blanche au GRIM. Mais c’est aussi elle qui baigne Liquid, la création tant attendue de Christophe Haleb par un plongeon dans l’univers de la comédie musicale. Et c’est encore elle qui génère la dernière composition de Sylvain Chauveau pour la danse de L’Oubli, toucher du bois de Christian Rizzo. On pourra aussi citer la dernière pièce de Nadj, Length of 100 needles, qui convoque quinze musiciens sur le plateau pour une ambiance balkanique, donc explosive…
Si le tempo du festival sera donc soutenu, n’en demeure pas moins que la dimension spatiale reste dominante : bien évidemment par l’art de la chorégraphie que l’on verra sur les plateaux de danse, mais aussi dans la rue par l’investissement corporel des vingt performers menés par le concepteur autrichien Willi Dorner (Bodies in Urban Spaces).
Enfin, la question du territoire, de notre territoire maritime précisément, sera soulevée par le documentaire Zone portuaire de Julien Chesnel et Emmanuel Vigne, ainsi que par la plasticienne et vidéaste Marie Reinert, dont les installations ouvriront cette nouvelle édition.
En résumé, un festival ouvert sur notre temps et sur notre monde, qui fait la part belle à l’humanité dont nous pouvons être capables. De battre notre cœur ne va pas s’arrêter…

Textes : Joanna Selvidès
Photo : Chambre claire de Shiro-Takatani

Festival de Marseille F/D/Am/M : du 17/06 au 7/07 dans divers lieux de la ville et à Aix-en-Provence (voir programmation détaillées dans les agendas).
Rens. 04 91 99 02 50 / www.festivaldemarseille.com
NB : le festival est membre de Flux (carte à tarifs préférentiels – voir Ventilo # 260). Rens. www.fluxdemarseille.com

chambre_claire-Shiro-Takata.jpg

• Ginette Laurin
Forte du succès public rencontré l’an dernier avec La Chambre Blanche — qui était aussi une recréation —, la Canadienne revient aujourd’hui ouvrir le festival avec La Vie qui bat, qu’elle avait chorégraphié en 1999. Prenant pour nécessité l’ancrage dans la musique de Steve Reich, la pièce s’avère certes de facture formelle. Mais quel bonheur d’éprouver encore l’adéquation étrangement naturelle du mouvement qui ne cherche rien à dire, ni à signifier, mais qui s’exprime dans la sensation ! La perfection et la précision du geste dans l’espace, soutenue par la qualité d’interprétation des neuf danseurs, fait du minimalisme musical un envoûtement flottant, tout en douceur et en ralentis. Quant à l’Onde de Choc (création 2010, première en Europe) qui clôturera la programmation danse du festival, le parti pris sera encore une fois sonore puisqu’orchestrée par le génial Michael Nyman pour la partie instrumentale et par Martin Messier pour la composition électroacoustique, superposant les forces de l’émotion — effleurements, pas, frottements — aux ondes physiques et organiques.
_La vie qui bat : les 17 & 18/06 à la Salle Vallier
_Onde de choc : le 5/07 à la Salle Vallier

• Willi Dorner
Chorégraphe d’origine autrichienne, Willi Dorner a commencé par explorer les techniques Alexander et le BMC ( Body Mind Centering), qui fait de la conscience de la reliance du corps à l’esprit le fondement de sa pratique corporelle. Alors quand l’homme décide d’investir les espaces urbains, il cherche à remplir les lieux par les corps, « remesurant ainsi l’architecture » de son propre mètre-homme, un peu à la façon d’un Le Corbusier qui inventa une fameuse Cité radieuse il y a plus de soixante ans. Une vingtaine de performers vont ainsi investir des lieux, des rues, des passages de Marseille en les ré-incorporant. Dans des déambulations qui ont en sus l’avantage d’être une proposition artistique gratuite dans l’espace public, le Festival de Marseille nous offre des Bodies in Urban Spaces qui cherchent à nous relier, entre nous, en retrouvant le chemin de nos émotions, vécues ensembles. Ensemble, dans l’asphalte.
_Bodies in Urban Spaces : les 18 & 19/06, départ du Palais de la Bourse

• Christian Rizzo
Artiste multidirectionnel, oscillant d’abord entre les arts visuels, le rock et le design de vêtements, c’est à la danse qu’il choisit de se consacrer. Avec L’oubli, toucher du bois, Christian Rizzo choisit d’analyser son rapport à la musique en s’en affranchissant. C’est une sorte de musique silencieuse qu’il demande à Sylvain Chauveau, par vagues électroacoustiques, qui vont inonder l’espace recouvert de bois. Les sept interprètes masculins sont alors là pour disparaître. Libres de s’unir, libres de leur regard sur le monde, libres de s’aimer. Cette dernière création, qui a déjà remporté un succès public et médiatique au Théâtre de la Ville, est une déclaration d’amour à celui qui n’est pas, ou plus, là. Un sentiment de fragilité de l’amour qui nous plonge dans une rêverie presque baudelairienne, « là [où] tout n’est que calme, luxe, et volupté… »
_L’oubli, toucher du bois : les 26 & 27/06 à la Salle Vallier

• Christophe Haleb
Il est le chorégraphe des plaisirs. Plaisirs de la chair, plaisirs des mots, plaisirs d’offrir. Son énergie baroque nous enchante et sa troupe nous émerveille. Car Christophe Haleb sait s’entourer de performers tout aussi décapants dans l’humour (notamment le comédien Arnaud Saury) que virtuoses de l’improvisation (les propositions toujours surprenantes et osées de Katia Medici et de Séverine Bauvais) et de la mise en corps (Christophe Le Blay), sans oublier les musiciens, décorateurs, scénographes… Le goût pour la luxuriance et l’élégance très glam’ de ce véritable OVNI dans le champ de la danse française nous régalent. On repartira donc volontiers dans le délire de La Zouze avec Domestic Flight, tandis que la toute dernière création, Liquid, saura sans doute s’emparer de nos sensualités.
_Domestic Flight : le 28/06 au Théâtre du Merlan
_Liquide : le 3/07 au Théâtre du Merlan

• Shiro Takani
En 1980, Roland Barthes analyse la pratique photographique comme « une marche du désir » dans un essai nommé La Chambre Claire, tirant son titre d’un contrepoint à la camera oscura. Là, dans ce nouvel espace-temps, où le sujet devient objet de désir. Là encore, parmi les propositions du Festival, une présence qui devient absence. Le créateur vidéo Shiro Takani, directeur artistique du collectif Dumb Type renommé pour ses installations, expose ici un travail plus personnel et plus intime, entre musique, texte, danse et multimédia. Dans une scénographie dépouillée et sophistiquée, faite d’un alignement de luminaires presque standardisés, ce Lost in translation chorégraphique nous emmène vers des sentiments davantage que vers des êtres incarnés…
_ La Chambre Claire : les 29 & 30/06 au Ballet National de Marseille

• Jérôme Bel

Depuis dix ans, Jérôme Bel se pose la question de son propre chemin, de sa quête d’auteur. Oui, mais voilà, l’homme refuse le narcissisme et prend les autres pour objet de sa propre quête d’identité. Sa première pièce s’appelait d’ailleurs Nom donné par l’auteur en 1994, la deuxième, en mode éponyme, s’intitulait Jérôme Bel. Invité par le ballet de l’Opéra de Paris en 2004, il crée Véronique Doisneau, du nom de l’interprète de corps de ballet, premier volet de la série de portraits qui intègre celui de Cédric Andrieux. On pourrait dire pour résumer que ce dernier est un ancien danseur de la Merce Cunningham Dance Company. Ou encore choisir de le présenter comme l’un des danseurs de l’Opéra de Lyon. N’en doutons pas : Cédric Andrieux, la pièce, déploiera un dispositif qui saura nous en dévoiler davantage. Un portrait intime, autobiographique qui, sans jamais glisser dans le larmoyant, nous emmènera avec humour dans la quête de soi.
_Cédric Andrieux : le 1/07 à la Salle Vallier

• Jonah Bokaer
Il a été le plus jeune interprète de la prestigieuse compagnie de Merce Cunningham. Aujourd’hui, à vingt-huit ans, il est à la tête de deux lieux devenus notoires pour la danse à New York : Chez Bushwick, qu’il a co-fondé avec Miguel Gutierrez, et le plus récent CPR (Center of Performance Research). Jonah Bokaer est de cette jeune génération qui a totalement intégré dans sa danse les données spatiales, qu’elles soient numériques ou architecturales. Ainsi dans Replica, c’est un mur d’angle, artefact presque organique — mordu, rongé, éventré — imaginé par le talentueux architecte américain Daniel Arsham, qui sert de base au duo qu’il forme avec la splendide Judith Sanchez Ruiz, elle-même ancienne interprète de Trisha Brown, autre grande dame de la danse américaine.
Dans l’autre pièce présentée au festival, Three cases of Amnesia, ce sont davantage les nouvelles technologies qui permettent au jeune chorégraphe de s’inspirer de deux œuvres picturales (Nu descendant l’escalier de Marcel Duchamp et False Start de Jasper Johns) pour brouiller les formes du réel avec celles imaginées par un logiciel de composition chorégraphique 3D. Une confusion troublante avec le virtuel s’empare alors du spectateur dans une œuvre originale et inédite.
_Three cases of Amnesia : le 2/07 au Ballet National de Marseille
_Replica : le 4/07 au [mac]