Festival de Marseille F/D/Am/M #2011
La danse dans tous ses Etats
Evènement majeur pour les amateurs de danse, le Festival de Marseille reprend du service pour une édition décidément grand format.
Abandonnant le bleu du blason municipal, le Festival de Marseille semble rajeunir en préparant une explosion d’orange sur les murs de la ville. A seize ans, la manifestation n’a pas froid aux yeux, jusqu’à offrir à son habillage un lifting dynamité version BD. L’édition 2011 se veut populaire et au plus près des aspirations de tout un chacun.
Le post-colonialisme et la négritude donnent le ton cette année, celui de l’insoumission, qui court au-delà des frontières géopolitiques. Apolline Quintrand, directrice du festival, utilise les mots du père de la créolisation Edouard Glissant : « Sapiens est par définition migrant, émigrant, immigrant. » En manifeste, la programmation du chorégraphe afro-américain Alvin Ailey, qui œuvra à sa façon contre les lois raciales en fondant, en 1958, sa compagnie de modern jazz ouverte aux danseurs noirs… Douze jeunes issus de la compagnie Alvin Ailey II perpétuent ainsi la mémoire d’une œuvre marquante de la danse du XXe siècle et d’une communauté exclue pour sa couleur de peau. Cette oppression pluriséculaire trouvera ailleurs un écho dans le texte Mission du Flamand David Van Reybrouck, mis en scène par Raven Ruëll, efficace monologue d’un pasteur évangéliste en proie au doute quant au bien-fondé de sa mission au Congo belge.
Sous d’autres formes, plus féminines, on retrouvera cette même oppression à travers les œuvres de Chantal Loïal (On t’appelle Vénus) et d’Eva Doumbia (Moi et mon cheveu), qui utilisent le théâtre et les mots comme des armes par leur intelligence acerbe et réjouissante. Autre colère de femmes, celle du chorégraphe Olivier Dubois avec Révolutions, qui prend son souffle dans celui des rondes de ces mères de la Plaza de Mayo, à la tête de l’opposition silencieuse à la dictature argentine en 1973.
Avec violence ou ironie, le Festival de Marseille espère semer, par ses choix artistiques, les graines de l’insoumission à la peur de l’autre.
En dehors du thème qui pourrait réduire ce festival à une vaste opération socio-culturelle à vertu éducative, la programmation reste éclectique et exigeante. Le flamenco, terrain de prédilection de sa directrice, grande amatrice de cet art haut en couleurs, revient à l’honneur avec Rocío Molina. Dans une même envolée polyglotte, avec pour horizon la fraternité entre les peuples, le Festival expose au regard du public marseillais les danses brésiliennes de Mimulus, sud-africaines avec Southern Bound Comfort, canadiennes (et quasiment originelles) avec Daniel Leveillé, carrément œcuméniques avec Akram Khan.
Sans oublier la carte blanche donnée à Marseille Objectif Danse, avec l’accueil de la compagnie Merce Cunningham et de sa dernière création, à l’aune de la disparition du chorégraphe. Saluons la démarche pédagogue émaillant la programmation de la pièce avec une rencontre publique, un stage de pratique et une installation vidéo de Foofwa d’Imobilité, qui nous offrent une appréciation éclairée du tournant que le pionnier américain a donné à la danse contemporaine.
S’il est vrai que le Festival de Marseille a bel et bien recentré sa mission sur celle de diffuseur (peu de coproductions et de créations cette année…), on peut présumer que c’est pour mieux soigner son public, comme en témoignent les multiples actions de sensibilisation, les offres tarifaires adaptées et la variété du menu. Pour les autres, il faudra faire encore un effort pour délier vos bourses — certains spectacles sont à trente euros.
Joanna Selvidès
Festival de Marseille F/D/Am/M : du 16/06 au 9/07. Rens. 04 91 99 02 50 / www.festivaldemarseille.com
Théâtre du Centaure – Flux 43°/05°
Traversée d’hommes alertes et voyage à cheval, Flux 43°/05° est un parcours utopique mené par le Théâtre du Centaure de Marseille à Istanbul en passant par Rotterdam, Berlin et Sagunto. Comme le carnet vivant de cette errance, le spectacle mêle des films réalisés ici et ailleurs, des poèmes composés par Fabrice Melquiot et des performances proposées par les acteurs-centaures où voix et souffles se confondent. Les ports d’Europe comme autant de portes vers la possibilité (ou la contrainte) de migrer, Flux propose une réflexion organique sur le lien de l’homme (animal) au monde actuel, plateforme instable qui invite au mouvement. Le Théâtre du Centaure poursuit à travers ce projet sa quête identitaire : inventer un langage grâce au corps surréaliste d’une créature mythique où pattes et pieds, gueules et bouches, crinière et cheveux s’entremêlent pour ne faire qu’un seul et même corps hybride qui parlerait du monde autrement.
DC
_Du 19 au 26 au Théâtre du Centaure (33 traverse de Carthage, 8e)
Merce Cunningham – Nearly 90²
Après la disparition du chorégraphe il y a deux ans, voici le dernier tour de piste de l’immense maître de la danse contemporaine. Dans une scénographie épurée jusqu’à la seule projection de lumières colorées, Nearly 90² est un ensemble de duos pour une danse toujours minutieuse. Compagnon de route des légendaires Robert Rauschenberg et John Cage, Cunningham a fait de la géométrie de l’espace la pierre angulaire de sa danse, entamant indirectement un dialogue avec Sol LeWitt, un autre artiste américain de sa génération. On retrouve dans ses compositions la conscience permanente des plans, des lignes, des angles, à la manière d’un dessin sur du papier millimétré. Ici, le chant du cygne est un joyau de danse qui, tout en réduisant les artefacts à leur plus simple expression afin de servir le geste, a pourtant tous les éclats de l’amour et de la sérénité.
JSe
_Les 21 & 22 à la Salle Vallier (90 boulevard Boisson, 4e) – Carte blanche à marseille objectif DansE
Foofwa d’Imobilité – Merce-Art Forever !
Formidable danseur, chorégraphe doux dingue qui nous avait réjouis de ses Re-musings dans la même carte blanche donnée à marseillle objectif DansE lors de l’édition précédente, Foofwa d’Imobilité revient en « reporter de danse » pour présenter une installation vidéo en trois volets, qui témoigne à sa façon de l’héritage du maître Cunningham. Parce qu’il a aussi été l’un de ses interprètes, Foofwa nous offre un regard à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, marqué par l’intimité de travail qui a été la leur. Il joue avec Merce, s’en amuse et s’en émeut, mais toujours avec une immense déférence pour son art, comme une large partie de son répertoire personnel en témoigne. Le disciple, qui a pris un bel envol, présentera son installation en amont de la présentation de Nearly 90², ultime création du maître, mais également tous les soirs de spectacle.
JSe
_Du 21 au 30/06 à la Salle Vallier (Carte blanche à marseille objectif DansE)
Akram Khan – Vertical Road
Les amateurs de sensations fortes et de grands effets seront sans doute fascinés par la virtuosité d’Akram Khan. Menée tambour battant, cette chorégraphie pour casting intercontinental de huit danseurs, « réunis pour leur capacité à incarner les cosmogonies du monde », ne peut qu’impressionner. La danse est rapide, précise, comme souvent chez ce chorégraphe même pas quarantenaire, réclamé de toutes parts (Kylie Minogue, Juliette Binoche…) et dont la renommée éclabousse le monde entier. D’origine bangladaise mais né à Londres, il est désigné comme le chef de file de la danse contemporaine britannique, et nous fait penser d’une certaine façon à Maurice Béjart, qui aimait à fusionner les mondes orientaux et les pratiques occidentales… Mais si le propos se veut presque mystique, la séduction des spectateurs se fera davantage à travers les formes — résolument grand format, à l’instar de cette nouvelle édition.
JSe
_Les 24 & 25 à la Salle Vallier
Raven Rüell – Mission
Le Festival de Marseille présente cette année trois spectacles de théâtre. Aux côtés des bien connus Eva Doumbia (voir Ventilo # 275) et Théâtre du Centaure (voir ci-dessus), il y a ce monologue créé par une compagnie belge : Mission. Le vieux Père André y raconte le Congo, ses enfants soldats, ses femmes violées ou encore les ONG à l’occidentalisme péremptoire. L’équipe du spectacle connaît bien son sujet : l’auteur a écrit Une histoire du Congo, tandis que le metteur en scène et l’interprète ont créé La Vie et les travaux de Léopold II, le souverain qui fit du Congo sa propriété privée. Mais Mission, ce n’est pas tant une conférence qu’une confession : l’aveu intime d’une vocation que la réalité malmène. L’auteur a échangé avec une quinzaine de missionnaires belges pour écrire cette aventure personnelle de l’engagement. Dépassant la centaine de représentations, Mission ne reviendra à Marseille qu’en 2012 et pour une seule date.
CV
_Les 27 et 28 à la Salle Vallier
Olivier Dubois – Révolution
Huit barres de lapdance en guise de scénographie, huit interprètes, un Boléro (celui de Ravel) et un mouvement — le tour, le cercle, la spirale —, dont la symbolique est vieille comme le monde. Polysémique, cette Révolution-là est celle de femmes, exclusivement. La ronde des mères argentines, jamais interrompue depuis 1973, criant silencieusement leur profonde indignation quant à la disparition de leurs fils sous la dictature, n’est que le point de départ d’une traversée sans ligne d’arrivée. Le chorégraphe Olivier Dubois a voulu mettre en lumière la révolution pour son mouvement en soi, laissant au spectateur le choix de se laisser aller à ses émotions — avivées par des mélodies martiales et le presque unisson des corps clamant leur détermination. Créée l’an dernier, l’œuvre est visionnaire, profondément politique, surprenante comme chaque création d’Olivier Dubois, dont la singularité et l’iconoclasme n’ont d’égal que sa sensibilité extrême, toujours en marche.
JSe
_Le 6/07 à la Salle Vallier