Les regards Abbaye
Comme l’air d’une pièce ou l’eau d’un vase, un festival, quand il s’exerce dans un long sillage, se doit de renouveler les éléments d’où jaillit sa capacité créatrice. Le Festival de Saint-Victor soufflait l’année dernière ses cinquante bougies. Pourtant, dans le déploiement de sa programmation 2017-18 se manifeste une vigueur au moyen de laquelle se rafraichit tout ce qui, voici un demi-siècle, l’a fondé « en esprit et en vérité ». L’allégresse communicative du concert d’ouverture témoignait de ce tempérament juvénile. Quel autre compositeur, plus approprié que Mozart, aurait pu l’illustrer ?
L’Orchestre de l’Opéra de Toulon…
Trois opus remarquables étaient réunis dans cette soirée reliant l’alpha et l’oméga de l’œuvre concertante de Mozart : les concertos pour violon n°5 et pour hautbois composés autour de sa vingtième année par un jeune homme encore sous influence, et le concerto pour clarinette terminé en 1791 sonnant, juste avant le Requiem, comme le testament profane et instrumental d’un artiste dont le sceau a gravé dans l’histoire de la musique une empreinte exceptionnelle. Ce qu’il aurait pu composer encore dépasse notre imagination et viendrait nous confondre comme une divine surprise dont l’Orchestre de l’Opéra de Toulon et ses solistes ont laissé entrevoir quelques « cristallisations », pour employer le mot de Stendhal, fervent admirateur de Mozart, comparant l’imaginaire forgé par le désir amoureux au travail du temps dans les mines de sel de Salzbourg : « Il suffit de penser à une perfection pour la voir dans ce qu’on aime.(1) » Plus belle la vie ?
La violoniste Laurence Monti a nourri son interprétation du concerto en La majeur (Salzbourg, 1775) avec une expressivité d’une grande portée lyrique. Car ici, Mozart, inspiré par la musique italienne, se déprend peu ou prou du style galant. La violoniste souligne cette inclination avec l’éloquence des sentiments d’une prime donne d’opéra dans un adagio développé tout entier dans des tonalités mineures. Le grand menuet aux tournures orientalisantes est enlevé dans le rythme fougueux d’un air de bravoure ; trilles et arpèges s’enroulant, comme les vocalises de Fiordiligi, autour de la touche d’un archet aérien et véloce.
Diverses péripéties valent à l’unique concerto pour hautbois (Salzbourg, 1777) son double numéro au catalogue Köchel. On le croyait perdu, il fut redécouvert en 1920. Si quelques problèmes d’émission causés par les effets de l’hygrométrie sur le bois ancien de son instrument ont fragilisé l’interprétation du premier mouvement, le hautboïste Guillaume Deshayes trouve dans le second les accents d’une poésie grave et recueillie puis recouvre dans le rondo les moyens d’enivrer l’auditoire d’un finale virtuose et ludique (le thème resservira dans L’Enlèvement au sérail), réminiscence d’un temps où l’aulos était le ressort de l’enthousiasme bachique.
Dès les premières mesures, par le biais de nuances au relief accusé contrastant avec une sonorité moelleuse et un subtil phrasé, le clarinettiste Franck Russo nous tient sous la puissance de son charme — comme bien peu y réussissent — qui pas une fois ne rompra. On a beaucoup glosé sur les analogies jour/nuit entretenues par ce concerto achevé à Vienne au lendemain de La Flûte enchantée. Franck Russo emprunte à la palette des peintres le discord des couleurs complémentaires et des clairs-obscurs caravagesques ; il en a parcouru toutes les oppositions entre la profondeur caverneuse des graves de basset et la lumière fragile des registres supérieurs. En se livrant de façon ardente et complète, il entraîne l’orchestre à des interlocutions fraternelles qu’aurait appréciées le maçon Mozart. Charismatique.
La phalange toulonnaise a montré sa capacité à compter parmi les formations du panorama musical régional et à faire rayonner plus loin encore son ambition et son talent.
Chez les Dames de Saint-Victor
Les Dames de Saint-Victor, sous l’impulsion de leur nouvelle présidente Claire Reggio et du Père Pierre Gérard, veulent resserrer le lien patrimonial que le festival entretient avec le lieu qui l’accueille en enrichissant son offre musicale d’une série de conférences, d’expositions et d’ateliers jeune public en affinité avec l’architecture ou l’histoire de l’abbaye. Ainsi, l’exposition Marseille au Ve siècle évoquera jusqu’au 9 novembre l’environnement urbain où vécurent les premiers chrétiens de notre ville. Dans ce cadre, l’historien Jean Guyon nous a présenté la vie mouvementée et haute en couleur de ce Lazare, « évêque installé sur le siège d’Aix en 408 par un général putschiste », dont les cryptes de Saint-Victor conservent l’épitaphe et qu’une tradition plus tardive assimilera au ressuscité de Béthanie, le plaçant ainsi à l’origine de l’épiscopat marseillais. Passionnant. Une initiation à l’épigraphie latine était également proposée aux collégiens. Visionnaire.
Le nouveau site Internet des Amis de Saint-Victor présente le calendrier complet des manifestations pluriculturelles du festival qui s’étendra cette année jusqu’au mois de juin. La partie musicale s’étoffe et se diversifie : Un requiem allemand de Brahms avec l’ensemble vocal aixois Ad Fontes Canticorum ; Miroirs et Monteverdi avec l’ensemble Musicatreize, mise en regard de l’ancien et du nouveau (Lucien Guérinel) ; une soirée consacrée aux soixante ans de jumelage Hambourg-Marseille réunissant des compositeurs des deux rives ; le Stabat Mater de Pergolèse avec l’Orchestre Régional de Cannes ; des œuvres commandées à trois compositeurs marseillais (Lionel Ginoux, Régis Campo et Nicolas Mazmanian) pour faire vibrer le chœur vocal féminin Hymnis et, enfin, une Soirée à Buenos Aires pour voyager au son du bandonéon accompagné par le Chœur Régional Provence-Alpes-Côte d’Azur.
En exergue de cette nouvelle saison, Claire Reggio formule le vœu de « continuer à défendre l’excellence musicale et le soutien aux compositeurs contemporains… et d’attirer un nouveau public qui s’exclue parfois lui-même de cette forme de concert… Si les jeunes talents de notre région et d’ailleurs s’y expriment, c’est encore mieux. » Et si l’on se fie à l’engouement du public nombreux lors de la soirée inaugurale, sa voix ne résonnera pas dans le désert.
Roland Yvanez
Festival de Saint-Victor : jusqu’au 7/06/2018 à l’Abbaye de Saint-Victor (Place Saint-Victor, 7e).
Rens. : www.amisdesaintvictor.com
Notes
- Stendhal, De l’amour, 1822[↩]