Festival Flamenco Azul
Flamme fatale
Avec son inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité en novembre 2010, le flamenco a dépassé sa réputation de simple danse folklorique. Confirmation avec la première édition de la manifestation internationale qui lui est dédiée à Marseille, Flamenco Azul, un évènement « populaire, savant et solidaire ».
Quand l’on demande à Maria Pérez, directrice du Centre Solea qui co-organise le festival, comment définir le flamenco, elle ne commence pas par parler de chant (canto), de musique (musica) et de danse (baile), pourtant les trois piliers de cet art. Cette passionnée, professeure d’espagnol et de flamenco, évoque plutôt « l’expression du peuple andalou qui a donné une réponse artistique puissante et affirmée à la souffrance des gitans, mais aussi des juifs et Arabes au 15e siècle en Espagne. » À cette époque, le pays entre dans un monde moderne avec le démarrage de la conquête de l’Amérique Latine par Christophe Colomb, mais aussi les « trois seules options données par les rois catholiques aux habitants : partir, se convertir ou mourir », selon Kurt Grötsch, directeur du Musée du Flamenco à Séville. Unies face à la persécution, les cultures métissées de l’Andalousie d’alors vont commencer par chanter puis danser. Le flamenco traditionnel que l’on connaît aujourd’hui prendra véritablement son essor au 19e siècle.
Les origines du mot « flamenco » font encore l’objet de controverses. Si l’on s’accorde sur la contribution majeure de l’ethnie gitane andalouse, le terme proviendrait pour les uns de felah-menkoub, qui signifie « paysan errant » en arabe, pour d’autres d’un poignard utilisé au théâtre au 18e siècle, à moins que ce ne soit du flamant rose ou de l’influence de la Flandre sur la musique polyphonique espagnole du 16e siècle (flamand se dit flamenco en espagnol). Ces racines possibles traduisent, chacune, une dimension du flamenco : la noblesse de la simplicité (les valeurs de la terre pour le paysan), la percussion (entre claquements de mains, palmas, frappes de pieds au sol, zapateado, et cordes de guitare pincées par le musicien, le tocador en andalou), l’animalité et l’ouverture sur le monde.
Maria se révèle ici un guide précieux. Le flamenco est « une danse de caractère, d’autorité, où la frappe au sol ne réussit que pour celui ou celle qui est en connexion avec ses émotions. L’interprète doit ainsi être authentique et en vérité avec lui-même. » Ce qui explique probablement la proximité avec une performance théâtrale ou l’émotion sincère d’une œuvre littéraire. Le poète espagnol Frederico Garcia Lorca a d’ailleurs été l’un des plus grands promoteurs du flamenco à travers la notion intraduisible du duende, en tant qu’engagement quasi surnaturel de l’artiste qui ne triche pas avec ses émotions, la lutte d’un corps avec un autre qui l’habite et dont la victoire passe par une inspiration franche. Centré sur lui-même, l’artiste n’en est pas moins connecté à son environnement. La base rythmique de la danse se retrouvant dans les arts mitoyens du théâtre et du chant, la polyvalence artistique s’avère incontournable chez le danseur.
C’est en 1993 que Marc Bamoudrou propose à son épouse Maria Pérez de créer ensemble un lieu dédié au flamenco, le Centre Solea. Dès l’entrée poussée et quelques marches gravies, le ton (rouge) est donné par les couleurs vives qui ornementent murs et mobilier, et par les jambons séchés suspendus au plafond. Tout ici rappelle la chaleur d’une maison andalouse. Cela tombe bien, nous sommes précisément à la Casa Flamenca Solea. Pour Maria, « l’espace ressemble à une peña ; soit un regroupement de personnes qui partagent une même passion. » À travers cours, master-classes, voyages d’étude et soirées dédiées au flamenco autour d’une scène (tablao), l’ambiance intimiste et conviviale se cultive. Une grande part de responsabilité revient au public, qui est en empathie avec l’artiste. C’est en cela que « le flamenco pratiqué ici se rapproche le plus d’une forme pure, tribale et non d’un tablao entouré de touristes comme dans certaines villes espagnoles aujourd’hui. »
Une nouvelle étape est franchie aujourd’hui avec le premier festival de flamenco à Marseille, Flamenco Azul, une grande ambition pour le Centre Solea. Tout commence en 1997, lors de la célébration de l’obtention du label de la Escuela de Flamenco de Andalucia (EFA) en présence de son directeur Luis Guillermo Cortes. Ce dernier motive alors Maria et Marc pour organiser une manifestation d’envergure dédiée au flamenco. L’étincelle se fera par la rencontre avec Claude Freissinier, fondateur et responsable de développement de l’association Arts et Musiques en Provence, qui partage avec les activités du Centre Solea l’importance de la proximité avec la population.
Ce festival est d’ailleurs présenté comme étant d’abord « populaire », avec des concerts et spectacles ouverts à tous et à toutes, « savant », pour évoquer les stages, conférences et master-classes qui intègrent la programmation, et « solidaire », pour ses à-côtés — animations, expositions, films ou encore une performance artistique avec de jeunes trisomiques et le Ballet National de Marseille. Le flamenco devient alors « un prétexte pour créer du lien entre nous tous. » Le chiffre 3 doit certainement porter chance car il se décline dans les dimensions susmentionnées et également dans une temporalité en trois actes (18-22 avril, 26-28 avril, et 2-5 mai), peut-être car le berceau du flamenco se situe dans le triangle Séville-Cadix-Xeres.
Entre tradition, modernité et prises de risque, la programmation du festival démontre que le flamenco relève à la fois d’un héritage et d’une constante évolution. Il absorbe ce qu’il rencontre sur le chemin du temps en se rappelant aux uns ou en se réinventant pour les autres. Et en restant toujours authentique.
Guillaume Arias
Flamenco Azul : du 18/04 au 5/05 à Marseille, Aix-en-Provence et Toulon.
Rens. : 06 07 65 48 54 / 06 14 55 54 52
www.centresolea.org
www.festivalflamenco-azul.com
Le programme complet du festival Flamenco Azul ici