A Day Like This de George Benjamin et Martin Crimp © Jean-Louis Fernandez

Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence

Appel d’airs

 

Le festival lyrique d’Aix-en-Provence souffle ses soixante-quinze bougies. Pendant trois semaines, l’opéra sera partout chez lui. Ses hautes volées résonneront au-dessus des toits et ses airs se propageront de place en place. Ce grand ensemble de manifestations lyriques ira, andante, comme une procession colorée, affirmer et perpétuer la précellence de la ville d’art pour les festivités musicales dont elle est l’hôtesse experte.

 

 

Dans les maisons d’opéra, les créations intégrales (musique, livret et mise en scène) sont extrêmement rares. En a-t-on mesuré le ratio précisément : un titre nouveau pour cinquante du répertoire ? Les causes en sont intelligibles, le propos n’est pas d’en faire la énième déploration mais de faire valoir les orientations différentes lorsqu’elles présentent d’efficaces contrepoids. C’est le cas au Festival d’Aix, où le zèle pour la beauté a les moyens de se fonder, en une mesure quasi-équivalente, sur l’idée patrimoniale et sur l’esprit d’innovation. Ainsi, deux créations dramatiques et une composition symphonique verront le jour sur les tréteaux aixois lors de cette édition.

La commande et la production de l’opéra en un acte Picture A Day Like This est la primeur 2023. Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma en signent la mise en scène et la dramaturgie, Hicham Berrada le décor-vidéo. « Une sorte d’Alice au pays des merveilles mais pour adultes », précise l’auteur du livret, Martin Crimp, avec un sourire indéchiffrable comme pour atténuer la charge pathétique de son récit. Une quête initiatique en forme de course contre la montre d’une journée à l’issue décisive pendant laquelle l’espoir et le tragique, l’ordinaire et la fantasmagorie repoussent très loin le grand écart de la condition humaine. Véritable forge du ressort affectif, la partition de George Benjamin est tendue par cet enjeu obsédant. Le compositeur dirigera le Mahler Chamber Orchestra et le plateau vocal emmené par la mezzo Marianne Crebassa.

The Faggots And Their Friends Between Revolutions, une fantaisie musicale de Philip Venables sur un texte et une mise en scène de Ted Huffman, démontre, s’il était nécessaire, qu’existe sur la scène lyrique un puissant appel d’air pour des approches renouvelées, des narrations et des formats innovants. Foutraque, échevelée, la comédie du tandem extravague sur tous les tons queers qu’il n’y a pas de mal à se faire plaisir. Sérieux ?

À l’occasion de cet anniversaire, le festival a commandé à la compositrice franco-américaine Betsy Jolas une œuvre qu’elle a naturellement baptisée Ces belles années… Celles du festival, les siennes ? Sous la direction de Sir Simon Rattle, le London Symphony Orchestra rendra hommage à la vieille dame de 97 ans, déjà présente à la première édition en 1948. On retrouvera avec émotion cette figure attachante de la musique française qui a traversé son siècle avec élégance et continue son chemin avec la même indépendance d’esprit.

Parce que le Septième Art fut musical avant même d’être parlant, les affinités du cinéma avec l’art musical sont restées foisonnantes. Pour explorer le hors-champ de la musique de Stravinsky, le festival a convié trois réalisateurs — Rebecca Zlotowski, Bertrand Mandico et Evangelia Kranioti — à traduire, en forme de trajectoires parallèles et ouvertes, le vague pénétrant de trois œuvres composées, entre 1910 et 1913, pour les Ballets Russes : Petrouchka, L’Oiseau de feu et Le Sacre du Printemps. Pour recevoir la projection géante et l’Orchestre de Paris au grand complet, il fallait un lieu à la démesure de cette audiovision. Il existe depuis peu au Stadium de Vitrolles.

Quel que soit le risque de l’aventure, quelles que soient les contentions budgétaires à desserrer, dans l’étonnement constant auquel Pierre Audi et son équipe nous invitent se discernent à la fois un commencement et une finalité supérieure de la promesse esthétique du festival. Si l’art de l’opéra est grand autant qu’il nous mystifie, en revanche notre désir se relance sans cesse en apprenant de quelles apparences il se nourrit. La meilleure surprise étant celle qui se fait d’autant plus sensible que l’on se familiarise avec les œuvres et que l’on acquiert à leur contact des organes insoupçonnés pour en découvrir des aspects que ne laisse pas deviner une première approche. La tradition y est donc un trésor à toujours réinvestir. Indispensable à cet objectif, la mission pédagogique du festival auprès des publics éloignés par la distance géographique, culturelle ou sociale se poursuit tout au long de l’année au moyen de projets artistiques participatifs. De même, l’adhésion de jeunes artistes professionnels aux programmes de « perfectionnement, de réflexion, d’expérimentation et de création » de l’Académie du festival stimule des dynamiques toutes aussi déterminantes pour l’avenir du spectacle lyrique.

Dans cette longue chaîne de dons reçus et transmis, L’Opéra de quat’sous (Weil), Così fan tutte (Mozart) et Wozzeck (Berg), les trois nouvelles productions 2023 à grand déploiement, et les trois opéras en version concertante, Le Prophète (Meyerbeer), Otello (Verdi) et Lucie de Lammermoor (Donizetti) parcourent les siècles et les styles illustrant ce principe de circulation des idées et des temporalités qui anime le festival lyrique d’Aix depuis son origine.

Le travail du temps a fait de Così fan tutte l’objet transitionnel du festival. Il permet de retracer en pointillé son histoire depuis l’édition alpha jusqu’à la proposition 2023, déconcertante et pourtant si pertinente, signée par Dmitri Tcherniakov : les quatre protagonistes sont loin d’être les jeunes plumets inexpérimentés auxquels nous sommes accoutumés mais deux couples matures et manipulateurs. Malgré la désillusion que ce passage à l’âge adulte entraîne, le metteur en scène parviendra-t-il à rendre l’attachement du festival à son doudou mozartien moins addictif ? Rien n’est moins sûr.

Un grand absent dans cette programmation commémorative, l’opéra baroque à qui l’on doit pourtant quelques unes des riches heures du festival. « On ne peut pas tout faire, ce sera pour la prochaine édition », nous a-t-on assuré. Le rendez-vous est pris.

 

Roland Yvanez

 

Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence : du 4 au 24/07 à Aix-en-Provence.

Rens. : https://festival-aix.com/fr

La programmation du Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence ici