Festival international d’Art lyrique
Soif de libre
Avec sa programmation d’exception, le Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence nous invite cette année à partager un moment privilégié pour fêter la liberté, en compagnie de Carmen, Don Giovanni, Erismena ou Pinocchio…
Récemment encore, la notion de « liberté » a été mise à mal à travers le monde, et la violence frappe chaque jour. Directeur du festival, mais aussi organiste et compositeur, attaché au répertoire baroque et à la création contemporaine, Bernard Froccroulle a voulu faire référence au contexte géopolitique actuel et mettre à l’honneur les valeurs bafouées de liberté. Pour Bernard Froccoulle, « l’opéra a toujours entretenu un rapport étroit avec la liberté de pensée et d’expression. » C’est son désir de transformer l’opéra en lieu de rencontre et de vie qui l’a poussé à diriger cette édition 2017 sur le thème « Libertà ».
Cet engagement pertinent est donc au cœur de l’un des plus grands festivals lyriques européens. Des artistes contemporains internationaux s’y produiront durant trois semaines de représentations et de concerts de musique classique devant un public que l’on devine, comme à son habitude, ébahi et submergé d’émotions.
L’opéra Erismena, de l’éminent compositeur Cavalli, sous la direction du maestro Leonardo García Alarcón, nous incitera à plonger dans un univers où la liberté est représentée à travers passions amoureuses, séductions et jeux d’amour. Succès demeuré intact depuis 1655, cet opéra sans dieu ni héros antique se joue autour de l’humain. Un roi hanté par ses cauchemars, des princes volages, une esclave qui rêve de s’asseoir sur le trône royal sans renoncer à ses amants… Cette ambiance romanesque décline différentes valeurs de la liberté et chacun des personnages se laisse aller ouvertement, sans limites, à ses ardeurs, à ses désirs. La mise en scène de cet opéra qui se fait de plus en plus rare malgré un succès intarissable est signée Jean Bellorini. Dans le rôle d’Erismena : la ravissante et remarquable Francesca Aspromonte. Cette jeune femme de vingt-six ans, particulièrement intéressée par la musique ancienne et baroque, remporte en 2009 le Premier Prix du Concours International Cittá di Paola, et en novembre 2012, le prix international ProArte pour son interprétation d’œuvres issues du répertoire italien.
Toujours à la gloire de la liberté, les envies, les désirs insatiables de Don Giovanni à l’égard des femmes bousculent les hommes et leur morale. Wagner définissait d’ailleurs l’œuvre de Mozart comme « l’opéra des opéras ». Et pour cause, cet opéra éveille de nombreuses émotions, simultanément. Entre rire, inquiétude, joie et stupeur, le prodigieux metteur en scène Jean-François Sivadier nous embarquera dans l’univers intemporel du génie de Mozart. Le « champion de la liberté » sera interprété par le Canadien Philippe Sly, considéré comme l’un des barytons-basses les plus prometteurs de sa génération. Il a notamment remporté le premier prix du Concours musical international de Montréal, le Concours des auditions nationales du Metropolitan Opera en 2011, le prix Jeune Soliste des Radios francophones Publiques, ainsi que la bourse d’opéra Brian Law à Ottawa en 2010.
Évidemment, que ce soit par souci de parité ou, tout simplement, parce qu’elle est au cœur même de la notion de liberté, tant elle s’est battue pour conquérir la sienne, la femme peut elle aussi mériter le titre de « championne de la liberté ». Et c’est un oiseau rare et majestueux qui interprétera Carmen : Stéphanie d’Oustrac, arrière-petite-nièce de Francis Poulenc et de Jacques de La Presle. Assurément, cette mezzo-soprano nous fera vibrer. Et l’on risque fort d’être émerveillé par la mise en scène de l’émérite Dimitri Tcherniakov, qui a reçu à plusieurs reprises le Golden Mask (prix national du théâtre russe), ainsi que le Opera Awards 2013 dans les catégories Best director et Best production, le prix de la Critique italienne Franco Abbiati (2008) et le prix National Campoamor Lyrics Awards en Espagne (2014). Nul besoin de présenter l’opéra de Georges Bizet, qui provoqua des contestations très violentes. Carmen séduit, charme et se rebelle. Elle préfère la mort plutôt que de renoncer à sa liberté. En créant cet opéra, Bizet a mis en avant le caractère et la force de Carmen. Dimitri Tcherniakov a, quant à lui, développé la charge émotionnelle que suscite cet oiseau rebelle que « nul ne peut apprivoiser ».
L’opéra « libertin » d’Igor Stravinsky The Rake’s Progress est également à l’affiche cette année. Cet œuvre néo-classique occupe une place de choix dans le parcours du compositeur. Après la Seconde Guerre mondiale, il découvre une série de toiles du peintre anglais William Hogarth The Rake’s Progress (« La Carrière du Débauché »). Intrigué et agréablement surpris, il décide d’en faire un opéra et commande alors, sur conseil de son ami écrivain Aldous Huxley, un livret au poète W.H Auden. Quatre ans plus tard, en 1952, il connaît un très gros succès, et sera souvent programmé sur les scènes du monde entier. Le voici à l’affiche du Festival d’Art Lyrique dans une nouvelle production mise en scène par Simon McBurney et dirigée par Daniel Harding. Une fois de plus, la notion de liberté est mise en avant. Cet opéra illustre la déchéance croissante d’un jeune héritier flâneur et libertin, Tom Rakewell, qui laisse sa fiancée derrière lui pour flamber sa fortune dans le jeu et les plaisirs.
Le jeune ténor américain Paul Appleby, qui s’est rapidement imposé dans les grands rôles mozartiens (Stravinsky a été critiqué pour la ressemblance de cette œuvre à celles de Mozart), interprétera Tom Rakewell. Quant à la fiancée esseulée, Anne Trulove, elle sera interprétée par Julia Bullock.
« On ne naît pas libre, on le devient », rappelle le très spinozien Bernard Froccroulle. Dans Pinocchio de Philippe Boesmans et Joël Pommerat, dont Aix présentera la création mondiale, ce n’est pas le mensonge ou la vérité qui est évoqué mais, une fois encore, la liberté. Un pantin en bois prend vie, mais, incapable de prendre son destin en main, il se retrouve très souvent, de par son incapacité à maîtriser ses désirs et ses pulsions, dans des situations qui le privent de sa liberté. C’est un candide. Joël Pommerat met en exergue l’esprit galopin de Pinocchio, il cherche à créer un théâtre visuel, à la fois intime et spectaculaire. Le rôle principal sera interprété par la communicative et réjouissante Chloé Briot. Entre envolées lyriques, investissement scénique, débit rapide et verbe haut, cette jeune femme va assurément nous charmer.
Dans un contexte géopolitique mondial délicat, le thème de la liberté apparaît d’autant plus judicieux, et des plus bienvenus.
Sihem Kazi-Tani
Festival international d’Art lyrique : du 3 au 22/07 à Aix-en-Provence.
Rens : http://festival-aix.com/fr
Le programme détaillé du festival international d’Art lyrique ici