Festival International de Piano La Roque d’Anthéron
Touches atouts
À La Roque d’Anthéron, la musique est une substance naturelle au même titre que l’air, le feu, la terre ou l’eau. C’est le cinquième élément d’un village qui, toute condition confondue, participe d’un macrocosme où art et sociabilité ont fait le meilleur mariage. Le quarante et unième Festival International de Piano y célèbre des noces de fer résolument optimistes.
On imagine sans peine les difficultés rencontrées par René Martin, le directeur artistique, et son équipe pour élaborer et organiser, plusieurs mois en amont, une programmation dans une période où l’horizon d’anticipation n’excédait pas la semaine suivante. Le résultat porte à l’étonnement. Non seulement une pléiade de pianistes internationaux a répondu présent, mais des formations orchestrales au grand complet, c’est-à-dire des montagnes en ce moment, seront déplacées.
Il divino
La soirée inaugurale, magistrale, lancera son signal fusée dans la nuit provençale pour annoncer la bonne nouvelle. Accompagné de l’Orchestre de Chambre de Paris sous la direction de Lars Vogt, Nicolas Angelich investira le concerto n°5, L’Empereur, avec toute l’énergie triomphante et combative dont l’a doté Beethoven. Puis la Symphonie n°5 fera retentir la conque acoustique du Château de Florans de ses accents péremptoires (le 23/07). Impossible de résister à un appel aussi impérieux. Des dizaines de milliers de mélomanes reprendront la route de La Roque d’Anthéron cette année encore.
Le lendemain, la phalange parisienne interprètera les concertos n°12 et n°24 de Mozart avec respectivement au piano Lars Vogt et Mario Häring. Deux autres soirées seront consacrées à l’œuvre concertante pour piano du compositeur viennois avec le Sinfonia Varsovia, dirigé par Jean-Jacques Kantorow, compagnon de route du festival depuis plusieurs éditions (le 6, concertos n°10 et n°7 pour trois pianos et le 8/08, concertos n°24 et n°12 avec Anne Queffélec). Nous retrouverons l’Orchestre Philharmonique de Marseille (le 26/07) avec Lawrence Foster à la baguette dans les concertos n°26 et n°9 d’Amadeus superstar, avec Abdel Rahman El Bacha et Plamena Mangova dont on se remémore encore l’arc électrique survolté que la pianiste bulgare avait établit avec les musiciens marseillais lors de l’édition 2019.
5, 4, 3, 2…
Quintettes, quatuors à cordes, trios avec piano ou sonate en duo… les géométries variées de la musique de chambre à La Roque d’Anthéron embrassent un éventail d’aptitudes. Chaque ensemble invité en positionnera le barycentre à sa manière. La sonate pour violon et piano opus 80, chef-d’œuvre que Prokofiev compose au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les concentre toutes à un degré supérieur : virtuosité, puissance, lyrisme, intimité… Le violoniste Renaud Capuçon et la pianiste Béatrice Rana nous en feront éprouver l’intensité (le 25/07).
Une formule judicieuse, « Passer au présent », consiste à découvrir un compositeur actuel autour de répétitions publiques, de rencontres avec l’artiste suivies d’un concert. Cette proximité attentive à l’œuvre et à la personne permet d’en discerner, outre ses procédés et ses ressources, ses interrogations et ses aspirations. Nous pénétrerons successivement dans l’atelier de Tristan Murail, Gilbert Amy et Marco Stroppa afin de pressentir comment l’abstraction musicale s’incarne dans la conscience et le geste créateur d’individus en chair et en os et recueillir ainsi le vécu et le conçu dans la parole même du compositeur. Ne nous privons pas de cette faculté, pour Bach et Mozart il est trop tard.
Frissons et vertiges
Certes, il y aurait encore à dresser la liste des récitals. Elle serait considérable. Faites l’inventaire de vos désirs, il y contiendra. Des étoiles, des maîtres, des talents confirmés, d’autres plus jeunes qui demain feront le sel des festivals. Si on jouait au jeu du naufrage sur une île déserte et qu’il ne fallait choisir qu’un seul nom dans l’urgence, le choix porterait instinctivement sur Grégory Sokolov. « Il faut avoir entendu Sokolov une fois dans sa vie, au moins », dit le dicton (le mien). Ce sera chose possible le 29/07 au Grand Théâtre de Provence d’Aix ; le pianiste russe ne joue que dans des salles à l’acoustique sans aléas. Vous pourrez faire connaissance avec son cérémonial distant et son tempo d’horloger. Remarquez avec quelle audace le maestro place les valeurs rythmiques tout au bout du temps que la partition leur a réservé, risquant le retard comme le trapéziste risque la chute quand, au bout de son balancement, il lâche la barre pour exécuter sa figure. Rassurez-vous, le pianiste comble la mesure lorsque sa main gauche appuie le temps fort au moment exact où la droite revient de sa voltige. Sentez votre pouls battre à ce moment-là avec une amplitude inconnue jusqu’alors.
Amoureux du piano, les chemins vous mèneront à La Roque d’Anthéron cet été. À votre tour, vous arpenterez la longue nef d’arbres séculaires du Parc du Château de Florans au bout de laquelle les ramées mêlent leurs croisées à celles de la conque acoustique. Du bruissement des conversations se détacheront progressivement les sons de l’orchestre qui s’échauffe et, soudain, comme une annonciation, le chapelet interrompu de quelques notes de piano. Vous serez convaincus d’être enfin parvenu au bon endroit, au bon moment.
Roland Yvanez
Festival International de Piano La Roque d’Anthéron : du 23/07 au 18/08.
Rens. : http://www.festival-piano.com/fr/accueil/bienvenue.html