Festival Les Hivernales
Les vies dansent
Après deux éditions annulées pour des raisons épidémiques, la programmation concoctée par les Hivernales aura-t-elle lieu? Guettant avec tout autant d’impatience que d’inquiétude les annonces ministérielles et autres décisions de l’Assemblée quant à un nouveau protocole pour les lieux de spectacle, la programmation de cette quarante-quatrième édition n’en reste pas néanmoins alléchante.
C’est à la chair tendre d’abord que, dans quelques jours à peine, le festival ouvrira ses portes sur six propositions chorégraphiques, réunies sous le nom d’Hiverômomes. Si elles diffèrent évidemment par leurs formes et leurs inspirations, certaines unissant davantage leurs forces chorégraphiques aux arts visuels et animés tandis que d’autres restent fidèles à la relation de la danse à la musique (Michel Kelemenis et le Carnaval des Animaux de Saint-Saëns, le travail de Mélanie Perrier), toutes se préoccupent de convoquer l’organique et la nature sur les plateaux, jusqu’à même invoquer la science (Bruno Pradet). En creux de cette programmation jeunesse, est ainsi donné à voir le tissage entre les petites et moyennes structures qui maillent le territoire du Vaucluse et de l’arrière-pays avignonnais et qui œuvrent silencieusement à la vitalité de la création dans la région, selon le projet défendu depuis six ans par le CDCN Les Hivernales.
Et quand les salles auront bien chauffé petits et grands, c’est tout naturellement la bombe Nach qui ouvrira le bal des plus grands. À la suite du collectif plus acrobatique et résolument masculin qui la précédait dans le rôle (Naïf Production), Nach, égérie du krump, devient l’artiste associée à cette « île-ville » d’Avignon, comme elle aime à la désigner. Nach, femme, métisse, au confluent de plusieurs cultures chorégraphiques et de plusieurs cultures tout court… Signe des temps ? Nous ne pouvons que nous réjouir de celle qu’on a découverte il y a à peine quelques années sur les plateaux alors qu’elle était déjà depuis plus de dix ans l’enfant terrible des battles infiltrées dans les rues du monde. Pour cette première invitation au festival, elle présente Nulle part est un endroit, une conférence dansée formidable et savamment cadencée, haute en références et au message intensément intime, à l’encontre des tabous les plus intimes comme des carcans esthétiques. Alors, paradoxe pour une artiste qui dit que la rue fut sa première école, ou récupération institutionnelle sur les danses urbaines à la mode ? N’en ayez cure, courez-y vite, et comprenez bien votre aubaine ! Et si la date est complète, point d’excuse pour passer à côté : vous aurez une deuxième chance de découvrir son immense talent dans une carte blanche qui clôt le festival.
Entre les deux, d’autres noms célèbres cousent une programmation fine et réfléchie, qui dénote là aussi le travail de réseau nécessaire que font les institutions publiques et pour lequel elles sont missionnées, ouvrant les horizons au-delà de nos terres provençales : Boris Charmatz et Mette Ingvartsen nous livreront des soli tourmentés, tout comme Julie Nioche, Olivia Grandville, Jan Martens semblent aussi se tourner vers les petites formes… Voilà d’ailleurs bien un signe de temps qui n’ont que trop duré : une économie de la danse depuis toujours malmenée et des productions éprouvées encore davantage par les difficultés de travail liées à la pandémie depuis plusieurs mois.
Des habitués du festival reprendront aussi leurs marques : Emmanuel Gat, bien sûr, pour des formes chorales qu’on lui connait et qui a ses adeptes, mais aussi, plus explosifs, une Marta Izquierdo Muñoz qui s’inspire des guérillas colombiennes ou un Frank Micheletti toujours un peu pirate. Quant à la tenace et impressionnante Nacera Belaza qui poursuit la semaine, elle reprendra deux soli dont on gage qu’ils n’auront pas pris la couleur du temps sur leur robe.
Dans cette édition, les mots s’invitent aussi, par la programmation de sieste-lectures, mais aussi par l’invitation faite par Maxence Rey au poète Ghérasim Luca. L’amour aussi sera de la partie avec Romain Bertet ou Meytal Blanaru. Des noms moins connus également : Wendy Cornu, Maxime Cozic, Alexandre Fandard et Ana Perez, et donc à découvrir aussi…
En bref, voilà une programmation qui devrait satisfaire toutes les envies et retarder nos retours aux confortables et somnolents logis. Qu’il s’adresse aux amateurs éclairés, novices, ou expérimentés, il est à saluer l’obstination de ce festival à faire la part belle à la pratique (sous forme de masterclasses et de stages variés, qui vont du krump à la technique Alexander en passant par le flamenco), dans un va-et-vient permanent qui fait tout l’ancrage de ce festival depuis des décennies, mais qui garde le nez au vent : il faut danser pour vivre et vivre pour danser.
Joanna Selvides
Festival Les Hivernales : du 3 au 12/02 à Avignon et dans le Vaucluse.
Rens. : www.hivernales-avignon.com
Le programme complet du festival Les Hivernales ici