Singulier pluriel
On ne compte plus les éditions du festival multidisciplinaire Les Musiques. On ne les compte plus, et l’on s’y retrouve chaque année sans bouder notre plaisir.
« Ce qui est novateur ? C’est toute la question de la modernité. Qu’est-ce qui peut être moderne ? Il y a des œuvres qui m’ont semblé absolument grandioses lorsque je les ai écoutées, mais ringardes trois ans après. Et d’autres que je n’ai pas du tout comprises au départ, mais qui tiennent encore la route. » Ainsi le directeur du GMEM, Christian Sebille, répondait-il à nos soucieuses interrogations en ces pages. Innovation, contemporain, avant-garde, nouveauté… Existe-t-il sérieusement une définition tangible pour ces terminologies qui embarrassent jusqu’à nos pages (par souci d’information) ? Ne tombons pas dans le panneau, pas la peine de répondre à la place de l’autre : à chacun sa réalité. En société comme en musique, tant l’une n’est que le reflet de l’autre. Et si la société industrielle entretient un rapport schizophrène avec le futur, du fantasme au mépris, tout reste pourtant à découvrir, tout reste à faire. A travers la musique, d’abord, « car elle touche à une mémoire que l’on ne connaît pas, dont on se souvient pas, mais qui est là, tapie. Alors pour la découvrir, il nous faut prendre des chemins inconnus et piocher la terre. » Même si l’on s’épuise à définir l’époque contemporaine comme celle du post, notre façon de conceptualiser la musique en rapport avec son environnement n’en est à tous les coups qu’au stade du balbutiement. Ainsi, le GMEM parlera ici de « musiques de création », pour laisser d’autant plus libre court à chacun de se frayer un chemin dans la programmation. Et ce ne sont pas les portes d’entrée qui font ici défaut : de l’ensemble phocéen C Barré, lancé autour d’une retranscription de Marseille via le prisme du classique naturaliste de Thoreau, Walden, aux polyphonies théâtrales de Benjamin Dupé autour d’un texte de Pascal Quignard, dont l’esprit irrigue considérablement cette édition, le festival multiplie les jokers sans se donner trop hâtivement. Comme à l’accoutumée, il fait donc le pont entre les pratiques : Laurence Marthouret pilote une danseuse et une chanteur au sein d’un dispositif interactif sonore et visuel dans une création de Patrick Marcland, lorsque le compositeur Daniel d’Adamo plonge (lui aussi) dans l’univers Quignard et sa Haine de la musique, adaptée sous forme de monodrame pour un comédien et un ensemble instrumental et électronique. In fine, un festival pluriel, dans le sens de son intitulé, Les Musiques, comme autant de points de vue sur les mondes inextricables que nous arpentons chaque jour.
Jordan Saïsset
Focus sur l’Ensemble C Barré
En 2006, à la sortie d’un parcours d’étudiant honorable, le jeune chef d’orchestre Sébastien Boin prend les choses en main et décide de monter un ensemble instrumental en prise avec son temps. Ainsi nait C Barré, dans une forme reconnaissable entre mille : treize musiciens à l’instrumentarium bigarré, de la mandoline à la harpe en passant par le saxophone et le cymbalum, réunis autour d’un répertoire des plus aventureux et notamment apprécié du fait que la plupart des compositeurs qu’il sollicite sont toujours de notre monde. Cette forme, à la fois particulière et adaptable, permet aux musiciens de se retrouver aussi bien autour d’un opéra de chambre que d’un concerto, d’un solo ou d’une forme plus prévisible pour un ensemble. On les croise depuis autant au Festival de Chaillol (auquel ils sont affiliés) qu’au Festival d’Ile de France, à l’étranger ou à Marseille donc, où ils se sont implantés depuis le départ. L’implication de C Barré pour Les Musiques témoigne du talent de chacun de ses membres : sollicité à deux reprises, il laissera aussi s’échapper deux de ses interprètes, le saxophoniste Joël Versavaud et la contrebassiste Charlotte Testu, en solo. Ainsi, de par sa capacité à incarner les œuvres dans lesquelles il se lance, par son aptitude à relever de sacrés défis, C Barré s’impose aujourd’hui comme un élément essentiel de la sphère contemporaine. Et au-delà.
Jsa