Festival Les Musiques dans divers lieux à Marseille

Festival Les Musiques dans divers lieux à Marseille

Les Musiques… et bien plus encore

Rendez-vous incontournable des musiques contemporaines, le festival Les Musiques, organisé par le GMEM, est cette année encore tout entier tourné vers la découverte. Son directeur artistique Raphaël de Vivo nous en livre ici quelques clés, traduisant la cohérence de sa démarche et son souci de placer la programmation sous le signe du plaisir.

corpus.jpgLa musique dite contemporaine est l’objet d’une masse de préjugés plus ou moins fondés ; le qualificatif « contemporain » est équivoque sinon malheureux, plutôt un label institutionnel qu’une définition. Depuis le milieu du XXe siècle, de la musique concrète au post-sérialisme, il s’est produit bien des mutations, sans même parler du tournant des années 90 et du numérique. Le panorama musical est vaste, et le public n’en connaît souvent que le versant Boulez, ce qui lui confère parfois une image intello et froide ne correspondant pas forcément à « ses » réalités. Très au fait de tels préjugés, Raphaël de Vivo, grand instigateur du festival Les Musiques (créé en 1994), accomplit en amont, avec le GMEM, un vaste travail axé sur la création-production, la diffusion et l’éducation au sens large (incluant les scolaires). C’est aussi un « laboratoire », mais l’utilisation des nouvelles technologies n’est en rien passive, comme il le précise : « Nous ne sommes pas exclusivement utilisateurs. » Le festival s’inscrit dans le prolongement de toutes ces activités : « C’est une forme de dynamique, de tourbillon permettant de proposer une multitude de formes. » De Vivo parle aussi de sa volonté de « rafraîchissement » quant à ses choix de programmation : « On avait toujours tendance à focaliser sur des styles, des genres, alors qu’il fallait trouver quelque chose de plus ouvert. » Une ouverture qui ne vise pas seulement un futur hypothétique mais aussi le passé ; la relecture d’œuvres anciennes, appartenant à la période « classique » prend alors toute sa saveur. Comment écouter, interpréter, réinterpréter Monteverdi ou Gesualdo ? Il faut aussi utiliser l’environnement technologique moderne. « Notre objectif, c’est de faire venir des gens qui n’ont jamais assisté à un concert d’orchestre et leur permettre de ressentir cette vibration que produisent 120 musiciens ! » Dans cet esprit de « fraîcheur », de nouvelle virginité, on peut penser à de grands moments comme Madrigali de Salvatore Sciarriono et l’ensemble de musique vocale de Stuttgart, ou les installations de Nicolas Maigret, plasticien sonore, car les conditions d’écoute, de diffusion du son ont également changé. Dans le champ, quasiment illimité, des relations esthétiques et technologiques se trouve Vox electronica, associant voix humaine, cordes et électronique. Les points de convergence avec les arts visuels sont de plus en plus nombreux (« L’œil modifie l’écoute »), de même que les relations entre médiums techniques. On peut parler de « relecture », favorisée par l’environnement technologique, mais aussi de décloisonnement, lié à la qualité d’interprétation, celle de musiciens disposant d’un bagage culturel et technique beaucoup plus large. On passe ainsi plus aisément du classique au jazz ou à la musique contemporaine ; à cet égard, le Trio Paj (Michel Portal, Roland Auzet, Pierre Jodlowski), explorant musique improvisée, jazz et musique électronique, est exemplaire. Ce qui est vrai de la réinterprétation du répertoire classique l’est aussi du répertoire dit « contemporain ». La collaboration entre le compositeur Michel Musseau et le metteur en scène et scénographe Jean-Pierre Larroche, pour Le Concile d’amour de Panizza, donne une belle idée de l’invention protéiforme, de l’utilisation du virtuel. Sans tomber dans la facilité d’un métissage artificiel, ce festival donne donc la part belle à la « double culture », celle d’artistes « produisant une musique qui n’hypothèque pas pour autant leur propre culture » (Saed Haddad, Zad Moultaka, Ahmed Essyad, Alireza Fahrang, etc., pour ne citer que des représentants de l’Orient parmi les musiciens venus du monde entier). « Il est important de savoir dans quelle tradition on est inscrit pour mieux la confronter à d’autres traditions. » Raphaël de Vivo préfère enfin ne pas parler du public mais « des publics : certains vont à un concert, d’autres en voient dix. » Le prix d’entrée est, encore une fois, très modeste (six euros par spectacle). « Le festival lui-même devient un point de rencontres. Il est un enjeu toujours renouvelé au niveau des choix, des contenus et des propositions que l’on peut faire. Rien n’est acquis en matière d’art, l’important, c’est ce renouvellement. Chaque concert est une forme, une mise en perspective. C’est un moment de découverte et de plaisir », notions capitales à ses yeux. On l’aura compris, point n’est besoin d’être érudit en matière de musique contemporaine pour se lancer dans l’aventure…

Armand Ménard

Festival Les Musiques : du 17/04 au 1/05 dans divers lieux à Marseille (voir programmation complète dans l’agenda).
Rens. 04 96 20 60 10 / www.gmem.org

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Danse
A la différence de la tendance actuelle qui veut insérer du narratif dans les pièces chorégraphiques, les choix du GMEM font état d’une prédilection pour l’abstraction, sans pour autant verser dans le formalisme abscons. Ainsi, le Khoom de la compagnie belge Mossoux-Bonté sera l’occasion de contempler une danse onirique, sans appuis, où trois danseuses suspendues et encerclées par l’Ensemble Musiques Nouvelles donneront à contempler les corps, comme autant de trajectoires sur la musique de Giacinto Scelsi et de Giya Kancheli. L’autre proposition danse/musique de l’édition 2010, Au Zénith, proposée par Thierry Niang et Stéphanie Auberville sur le violon de Saori Furukawa, sera également inscrite dans un espace circulaire. Pour écouter la danse dans une approche presque graphique du son.
JS

Scènes d’opéra
Dans la perspective, inhérente au projet du festival, de présenter les formes spectaculaires de la création musicale, on ne pouvait que s’attendre à la forme « opéra ». Voilà que celle-ci, populaire grâce aux classiques du genre, revêtira une parure résolument contemporaine : ici avec Le Concile d’Amour, opéra pour marionnettes d’Oskar Panizza. Là, voire là-bas, avec Zajal, opéra arabe revisitant l’archaïque forme éponyme — à l’origine bédouine — qui rassemblait poésie, musique, improvisation, scénographie et écriture, et auquel Zad Moultaka et Ars Nova redonnent aujourd’hui une actualité de ses formes, à mi-chemin entre Occident et Orient.
JS

Baroque
Le baroque, c’est l’incongru, l’insolite, le fantasque des siècles où l’émotion et le plaisir règnent en maîtres sur l’art. Un peu comme le nôtre ? A son collier, on ne manquera donc pas d’ajouter les perles musicales des Madrigaux de Carlo Gesualdo et de Salvatore Scialsino — dont on attend avec impatience l’interprétation du Neue Vocalsolisten de Stuttgart, l’un des meilleurs ensembles vocaux du monde —, ainsi que les partitions pour violoncelle de l’emblématique chef de file du style, Monteverdi (Echos, Monteverdi/Scelsi).
JS

Expo : quand les parois prennent CORPUS
La galerie des Grands Bains Douches se fait caisse de résonance en accueillant l’installation sonore CORPUS, réalisée par le binôme Art Of Failure. Le duo des Nicolas (Maigret et Montgermont) travaille depuis trois ans, souvent in situ, autour d’une recherche acoustique multimédia. Ici, l’architecture et ses matériaux prennent vie sous l’impulsion des sons émis : les objets consentent à nous renvoyer leur version. Au-delà de cette dimension organique, l’aspect inquiétant laisse place à une communion physique apaisante avec le lieu : « Il ne s’agit pas de l’envahir mais d’y ajouter quelque chose. » Les quatre films projetés de Jérémy Gravayat témoignent d’autres surfaces dont les cœurs inconnus ont battu à l’unisson de celui de CORPUS. Par le biais de la composition générative (l’ordinateur permet un choix harmonique dans un maillage calculé ainsi qu’un développement à l’infini), grâce à un dispositif où les caissons de basses grondent, une expérience presque paranormale et thérapeutique nous est donnée.
M N-Q

Petits formats
A côté des grosses machines orchestrales et de grands dispositifs spectaculaires coexistent des petits formats : solistes, petites formations. Une manière subtile d’aménager le territoire en proposant comme des pauses, des moments de plus grande intimité, comme une parenthèse, un espace de proximité pour l’auditeur. A cet égard, le soliste, le duo, voire le trio, jouent un rôle important dans la respiration de ce festival. Pour nous en tenir à ces miniatures, Claude Tchamitchian a par exemple franchi la frontière des genres, imposant avec sa contrebasse une démarche de soliste-compositeur. Les clarinettes d’Alain Billard jouent du dialogue avec l’électronique, en quête de nouvelles approches instrumentales et d’un élargissement du répertoire. Le Trio Paj, composé du clarinettiste Michel Portal, du compositeur-percussionniste Roland Auzet et du compositeur Pierre Jodlowski, franchit divers murs du son, de l’acoustique à l’électronique. Le trio Vox electronica, voix et cordes, forme quant à lui un ensemble nimbé de dispositifs électroniques. Le piano d’Andrea Corazziari nous invite à un voyage insolite, construction/déconstruction autour de deux pièces de Mauro Lanza, de Chopin, Ligeti et Messiaen. Compositrice et improvisatrice, la pianiste Sophie Agnel poursuit enfin son odyssée à travers le « contemporain » aux confins des musiques improvisées. Place au souffle conjugué des deux flûtes, celles d’Incantatations, flûte en Méditerranée, panorama reliant l’Orient et l’aspect le plus oriental de la musique d’André Jolivet.
AM