Festival Les Musiques : du 6 au 26/05 à Marseille

Festival Les Musiques : du 6 au 26/05 à Marseille

A tous ceux qui pensaient que la musique contemporaine était réservée à une élite, le GMEM avait l’an dernier apporté une réponse de taille en établissant une politique tarifaire « équitable » (voir encadré) pour son événement-phare : Les Musiques. Mais est-ce un élément suffisant pour appréhender, parfois, toute la complexité des œuvres ici présentées ? Nous sommes allés demander à Raphaël de Vivo, directeur du festival, de nous éclairer sur ces nouveaux langages artistiques nés de la transversalité. Et lui avons proposé d’aborder sa programmation en choisissant des thèmes, afin d’aller dans le sens de cette démarche de décloisonnement…

Interview : PLX

« L’élément structurant et le fil conducteur du festival, c’est la musique. Mais c’est une évidence : il n’y a qu’en Occident où la musique est dissociée du reste. Je trouve absurde que dans un festival de musique, il n’y ait pas cette démarche de transversalité, de rencontre avec d’autres médiums… L’une des approches de la transversalité, c’est l’utilisation des technologies numériques comme point de convergence de nouveaux langages artistiques : la musique avec la danse, les arts visuels, le théâtre… Il y a ensuite la transversalité envisagée dans la temporalité : ouvrir avec un concert de gamelan balinais et finir avec les Percussions de Strasbourg, cela donne un éclairage de la musique contemporaine par des références de musiques traditionnelles qui ont nourri cela. J’aime éclairer les choses ainsi, avec ces entrecroisements qui s’éclairent mutuellement et apportent une dimension supplémentaire. Exemple : le geste instrumental à côté du geste chorégraphique, ça peut générer des problèmes de hiérarchie dans les événements, de cohérence d’un langage. Car si tu mets tout en même temps, ça n’existe plus ! La transversalité est donc pour moi multiple : au sens de la tradition et de la modernité, au sens de la rencontre des différentes disciplines, et enfin de leur convergence avec des outils très contemporains qui permettent l’émergence d’une nouvelle forme de langage artistique. Et c’est ainsi qu’au fur et à mesure, les choses se construisent. »
Raphaël de Vivo

LE PERCUSSIF
Le gamelan balinais, qui va donner lieu à un concert en ouverture du festival, a été fabriqué pour un spectacle de Georges Aperghis, puis racheté par un percussionniste marseillais. Quand j’ai su qu’il était dans un entrepôt, j’ai organisé un stage pour monter un premier concert. Cette fois-ci, un maître de la musique balinaise va venir d’Angleterre pour en jouer avec des musiciens marseillais… Dans un festival où il y a une place importante pour la percussion, il me semblait intéressant de présenter ça en extérieur, car l’on en joue souvent sur les places de village… Pour moi, le « percussif » rentre dans une démarche d’éducation musicale. C’est pourquoi nous avons des actions en milieu scolaire tout au long de l’année, et le concert Bois et peaux permettra d’ailleurs aux plus jeunes de découvrir à la fois les instruments et un répertoire musical contemporain qui n’est pas aussi rébarbatif qu’on ne le pense… La preuve avec Erewhon joué par les Percussions de Strasbourg : c’est une forme de symphonie percussive pour 150 instruments, une œuvre emblématique de la musique du XXe siècle. La majeure partie des percussions utilisées viennent d’Asie ou d’Afrique, auxquelles s’ajoutent des instruments inventés parfois simplement pour trouver une note. Les musiciens sont parfois obligés de courir d’un instrument à l’autre pour pouvoir jouer : c’est une vraie performance. Avec Spiel de Stockhausen, joué par l’Orchestre Philharmonique de Nice, je voulais une œuvre qui mette en valeur la percussion avec un orchestre symphonique, afin de donner une approche un peu plus savante de la percussion.

LE TEXTE

J’avais déjà monté un festival où le thème principal était la présence du texte poétique et littéraire. Il est rare de ne pas avoir d’œuvre sans la présence du texte, car celui-ci apporte un sens à la musique — qui est par essence même l’art de l’abstrait. Avec Le malheur de Job, plusieurs disciplines, plusieurs références et plusieurs médiums se croisent ! Le texte est dit par un slammer avec un rythme particulier, sur de la musique électroacoustique. Et ce texte, tiré de La Bible mais dans une version très contemporaine de Jean-Lambert Wild, a une vraie dimension dramaturgique. Il y a donc des télescopages culturels, des rencontres formelles de style… La scénographie est très belle. Avec Ismène de Georges Aperghis, on est au contraire dans l’épure : une seule personne sur scène. Il s’agit d’un texte magnifique revisité par Yannis Ritsos, qui renvoie aux drames de la tragédie grecque. On a ici, dans le rapport entre l’écrit et la musique, un parti pris de deux extrêmes : l’épure, et une vraie dimension visuelle. C’est quelque chose d’extrêmement fragile que Marianne Pousseur mène de front.

LA DANSE
Ce qui m’intéressait avec Hidden, c’était la rencontre de la compositrice Kaija Saariaho avec la chorégraphe Carolyn Carlson autour d’un culte chamanique. Je trouvais fascinant qu’autour de quelque chose qui vienne d’Orient, une Américaine et une Finlandaise se rencontrent avec chacune leur univers. Cela donne un spectacle surprenant, dans la lenteur, avec une musique en suspension. Pour Viiite et Disgrâce, il s’agit d’une autre proposition de relation entre un chorégraphe et un compositeur : la musique électroacoustique devient un support de la danse. Michel Kelemenis est un ami de longue date. Il fait partie des rares chorégraphes réellement intéressés par la création musicale : il a écrit beaucoup de pièces en partant de questionnements musicaux ; il a même créé tout un ballet avec des pièces enregistrées au GMEM… Là, il a travaillé à partir de la musique de Christian Zanési, un électroacousticien qui a également souvent travaillé avec nous. Pour My Space, la chorégraphe et danseuse Olivia Grandville va encore plus loin dans cette démarche, car on est ici plus près de l’installation que de la performance : Jérôme Noetinger assure un « live » électroacoustique spatialisé, et Tom Mays transforme en matériau sonore (avec ses ordinateurs) tout ce qu’il se passe en temps réel. Chaque fois qu’Olivia fait un geste, elle déclenche, grâce à des capteurs, des séquences sonores qui sont transformées en temps réel. Des choses sont donc fixées, d’autres sont improvisées, grâce à l’interaction des trois acteurs. On est entre l’installation, le dispositif électroacoustique, la danse… et totalement dans le multimédia.

L’INSTRUMENTAL
les-musiques-ZEITKRATZER.jpgL’Orchestre Philharmonique de Nice est l’un des meilleurs orchestres de la région. Le parti pris était de construire un concert de grande qualité avec des œuvres… contemporaines, qu’ils puissent eux aussi inclure dans leur saison. Je voulais une note de Stockhausen, puisqu’il nous a quitté l’année dernière, la pièce de Dutilleux pour 80 musiciens (l’une des plus belles du XXe siècle pour grand orchestre), et une pièce de Bartok pour piano et orchestre, afin de faire le lien entre les deux. Il y a ici une transversalité de temporalité et de culture : que peut-on faire d’un grand orchestre aujourd’hui ? Le Nouvel Ensemble Moderne de Montréal est, lui, carrément l’un des meilleurs ensembles de musique contemporaine au monde. Pour une minute de musique, ses musiciens répètent une heure… Ils viennent fêter leur vingtième anniversaire à Marseille avec des créations, des commandes que le NEM et le GMEM ont passé à des compositeurs. En outre, Lorraine Vaillancourt dirigera les Percussions de Strasbourg à l’occasion de ce concert… On reste dans l’excellence avec le Quatuor Diotima, qui fait partie des tout meilleurs quatuors à cordes. Deux créations très différentes : l’une écrite par Yann Robin, dans la tradition de la musique contemporaine française, avec électronique, et l’autre par l’Allemand Reinhold Friedl, directeur de l’ensemble Zeitkratzer, avec système spatialisé. L’ensemble Zeitkratzer est constitué de gens exceptionnels, qui font de la musique improvisée, contemporaine. Ils ont joué avec Lou Reed, travaillent beaucoup avec la danse… Ils ont un bagage incroyable. Et un son qui l’est tout autant : ça sonne comme de la musique de chambre amplifiée. L’idée du programme que je leur ai proposé tourne autour de Morton Feldman (le silence) et William Bennett (la noise avec son groupe Whitehouse), fasciné par le premier. C’est une production du festival, et question transversalité, on va ici très loin.

LA « TRAVERSÉE » À CINQ EUROS
Le festival n’a jamais manqué de public, mais j’avais envie d’en capter un autre en le sensibilisant. Le pari, c’était d’ouvrir la création artistique à un public qui n’y a pas forcément accès : s’il n’y a plus de barrières financières (sans que ce soit gratuit pour autant), est-ce qu’une proposition qu’on dit complexe peut arriver à séduire les gens ? Cinq euros, ce n’est plus qu’une question de désir : la question de l’argent ne se pose pas. Or, l’an dernier, ce pari est allé au-delà de nos espérances : nous avons refusé énormément de monde, renouvelé notre public, tout cela dans un contexte économique difficile… On réitère donc l’expérience cette année — toujours sans hiérarchie de qualité déterminée par la taille des spectacles. Bien sûr, beaucoup de personnes qui connaissaient le festival ont voulu voir si le contenu s’en trouvait dégradé… et ont finalement été surprises par son exigence. Je vous avoue également que ce qui a déclenché ceci, c’est une déclaration de la ministre de la Culture qui, sur une radio d’envergure, a dit que la musique contemporaine n’intéressait personne. J’ai trouvé ça fort de café et décidé qu’on allait en faire la démonstration ! On écarte le problème de l’accès, on garde l’exigence de qualité, on bonifie notre stratégie de sensibilisation et on voit si il y a une réponse. Comment faire en sorte qu’une œuvre d’art puisse rencontrer un public, même si elle est complexe ? Je ne me complais pas qu’avec des gens qui sont concernés par l’art contemporain.

Festival Les Musiques : du 6 au 26/05 à Marseille.
Rens. 04 96 20 60 10 / http://gmem.free.fr/musiques.htm
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