Festival Mars en Baroque
Baroque en scènes
Le festival Mars en Baroque fête ses vingt ans. Il n’en fallut pas davantage, autour de l’an de grâce 1600, pour que la musique italienne adopte, devant l’Europe attentive, une nouvelle manière plus spontanée, plus contrastée. La mort et la transfiguration de l’ancien style se jouent alors sur le diptyque du lamento et du trionfo comme passage et libération. Retour aux sources spirituelles du baroque pour cette édition collector du festival.
Après un prélude plein de promesses confié au Département de musique ancienne du Conservatoire de Musique de Marseille, Jean-Marc Aymes, directeur artistique du festival, nous plonge aussitôt dans le bouillon de cette fulgurante mutation pendant laquelle, dans les premières années du XVIIe siècle, d’entreprenants compositeurs à la recherche de la vérité d’expression du drame antique se déprennent des anciennes pratiques polyphoniques. Une voix supérieure se dégage alors de la nuée sonore et va flotter, lumineuse et puissante, en lévitation au-dessus de la basse continue ; pendant musical des deux étages, céleste et terrestre, du dernier tableau de Raphaël(1). La monodie accompagnée apparaissait. Et avec elle, l’opéra.
Trionfo
Précisément La Dafne de Marco da Gagliano (1582-1643) que nous entendrons, mis en espace à la Criée(2) le 16 mars, illustre ce précipité d’innovations et de fantaisie, parfois grave ou mélancolique, où l’opéra juvénile participe à la diplomatie ostentatoire des fêtes princières. Cette fable pastorale, créée à la cour de Mantoue en 1608 à l’occasion du mariage du duc héritier, met en musique la course-poursuite de la nymphe Daphné qui n’a d’autre ressource pour échapper aux ardeurs d’Appolon que de se transformer en laurier. Ce goût pour le mouvement et la théâtralité animera le plateau vocal qui, outre les complices familiers de Concerto Soave (Maria Cristina Kiehr en Vénus, le baryton Romain Bockler en Appolon), réunit quelques jeunes artistes lyriques distingués récemment au concours international de chant baroque de Froville (le contre-ténor Nicolas Kuntzelmann en Amour et Alice Duport-Percier, légère et pathétique Daphné). Leur art, de vivacité et de langueurs mêlées, révèlera le visage authentique du sentiment aux temps où la parole n’était pas séparée d’avec le chant dans le jadis fabuleux auquel rêvaient les poètes de la Camerata fiorentina (3); au moyen de « mots sculptés dans le son », selon l’expression du compositeur, c’est-à-dire découpés dans le style nouveau du recitar cantando, comme le feront les ciseaux du Bernin pour cristalliser dans le marbre, en plein vol, la métamorphose de Daphné encore frémissante de vie(4).
Lamento
Seconde borne millaire du festival, le Requiem de Jean Gilles (1668-1705) a conservé dans son architecture quelque chose de la première manière, cet Ars Perfecta qui se prolonge encore dans les musiques religieuses. Mais la pieuse méditation du compositeur provençal s’arrondit tout autant aux alternances aimables du dialogue concertant qu’à l’ordre spéculatif et immuable des sphères célestes. Sa messe des morts dont il avait, dit-on, réservé la primeur pour ses propres funérailles, accompagnera ensuite, au titre de sa gloire posthume, celles de Rameau et de Louis XV. Le 26 mars, Concerto Soave, en grande formation, montrera ses capacités de consensus organique dans l’ajustement mutuel du chant (chœurs et solistes) avec l’orchestre, l’un sur l’autre réglé pour déployer une puissance d’envoûtement propre à éveiller les présentiments les plus subtils des formes sensibles qui nous survivent. Avec elles disparaîtra l’accord ultime, à mi-voix, dans l’aura de la douce apothéose du Lux Aeterna. En écho à cette musique séraphique, comme la chair se fait verbe, le comédien Benjamin Lazare fera sonner des extraits du Sermon sur la mort de Bossuet dans la déclamation et la gestuelle baroque, en version originale en quelque sorte. Sous les voûtes de l’Abbaye Saint-Victor, entre les silences ménagés par le Requiem, tonnera la parole éclatante du grand orateur bourguignon, pour nous rappeler la brièveté de la vie, ce tableau de vanité, « théâtre duquel nous serons bientôt retranchés ».
Alléluia
Excellent timing. Le festival revêt, en cette année d’impatience, une intensité particulière. La régénération des désirs y prend son élan à travers la multiplicité (concerts, conférences, master classes…), l’affluence des propositions (Ensembles Ricercar Consort, Le Stelle, La Palatine, Le Poème Harmonique, L’Armée des Romantiques…), la variété des lieux investis et des collaborations inattendues (Fred Nevché, la Compagnie Rassegna…) dans un mouvement ascendant qui transcende le présent en lui choisissant ses traditions et son avenir. Pour tenir ces espérances de lendemains qui chantent, les élèves et enseignants du Département de musique anciennes du CNSM de Lyon couronneront cette XXe édition du chef d’œuvre de Monteverdi, Les Vêpres de la Vierge, monument de musique sacrée réunissant ancienne et nouvelle manières, heureux présage de jeunesse et d’immortalité, dans un souffle et une inspiration inouïs jusqu’alors.
Roland Yvanez
Festival Mars en Baroque : jusqu’au 3/04 à Marseille.
Rens. : www.marsenbaroque.com
Le programme complet du festival Mars en Baroque ici
Bonne conservation
Le Festival Mars en Baroque offre au Département de musiques anciennes » du Conservatoire Pierre Barbizet une large fenêtre de visibilité ; plus qu’un prélude, une magistrale ouverture d’une douzaine d’évènements divers à l’occasion de laquelle professeurs et élèves associent leurs forces au cœur de l’action.
Tenus à l’origine pour les représentants d’une contre-culture à l’intérieur de la tradition académique classique dont ils ne partageaient pas le même répertoire ou, le cas échéant, les mêmes codes d’interprétation, les musiciens baroques trouvent aujourd’hui, entre initiatives personnelles et bienveillance institutionnelle, toute leur place parmi les disciplines enseignées dans les conservatoires. Qu’en est-il à Marseille ? Christine Lecoin, coordinatrice du Département, nous éclaire :
« Le Département de musiques anciennes du Conservatoire regroupe, autour de quatre enseignants, les classes de clavecin, flûte à bec, viole de gambe, basse continue et improvisation historiquement informée. Ce n’est pas très étoffé(5) mais la direction est favorable à son développement. Les diverses pratiques d’ensemble sont assurées par chaque professeur dans le cadre de sa discipline mais sont également ouvertes à d’autres élèves du Conservatoire pour la réalisation de projets spécifiques. J’en assume la coordination auprès de la direction et de mes collègues afin d’impulser des collaborations internes ou avec d’autres institutions.
Pour sa vingtième édition, le festival Mars en Baroque accueille notre semaine de manifestations placée habituellement en automne. Le thème « Mort et transfiguration » a fédéré les professeurs et élèves de notre département, mais aussi les classes de chant choral, d’orgue, de hautbois, de basson… et même au-delà puisque la soirée de bal (le 4/03) sera animée par le professeur de danse Renaissance du Conservatoire d’Aix-en-Provence.
Cette abondante participation se prolongera dans le futur, sous une forme ou une autre ; c’est également la volonté de la direction du Conservatoire, toujours très enthousiaste. D’ici-là, nous mettrons en lumière la féconde association entre le compositeur Marc-Antoine Charpentier et Molière dans une réalisation ambitieuse qui mutualise, outre nos propres ressources, les compétences du Département d’Art dramatique du Conservatoire, de l’École des Beaux-Arts pour les décors et de l’École Nationale de Danse pour les ballets. Le spectacle aura lieu le 26 juin à l’Opéra de Marseille sous l’égide de l’opération DEMOS (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale). C’est un enjeu très motivant pour le département et nos élèves. »
Propos recueillis par Roland Yvanez
Notes
- La Transfiguration (1520) – Pinacothèque du Vatican[↩]
- Entendue en version plus réduite à la Friche La Belle de Mai pendant l’édition 2014[↩]
- À laquelle appartenait Ottavio Rinuccini, l’auteur du livret de Dafne[↩]
- Appolon et Daphné (1625), groupe sculpté, galerie Borghèse.[↩]
- Le Département équivalent au Conservatoire d’Aix-en-Provence compte quinze professeurs et intervenants.[↩]