Festival Musiques interdites
L’Interview
Michel Pastore
Un piano droit qui a l’air d’avoir bien vécu, de la musique lyrique en fond sonore… Pénétrer dans l’antre de Michel Pastore, c’est s’immerger dans un monde où l’opéra est roi. Rencontre avec le créateur du festival Musiques Interdites, à l’orée de sa huitième édition.
Pourriez-vous présenter votre parcours ?
J’ai toujours travaillé dans la musique et dans les mises en scène d’opéra. J’ai été lauréat du prix Villa Médicis en 84, et j’ai fait partie de la mission Opéra Bastille, dans laquelle je recommandais déjà de se pencher sur le répertoire des œuvres interdites par le IIIe Reich. Il convient de préciser que ces musiques sont avant tout des chefs-d’œuvre. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si une partie du festival se passe dans la cour de la Préfecture de Marseille. Un symbole fort : la République réhabilite ce qui a été interdit par la dictature.
Comment s’est concrétisée l’idée de monter un festival ?
Je me suis rendu compte que des musiciens ont été occultés entre 1911 et 1945. On ne voyait que Strauss, qui s’est d’ailleurs comporté de façon très ambiguë avec les nazis. J’ai donc cherché d’autres noms et me suis aperçu qu’il y avait énormément de compositeurs. Par exemple, il a fallu attendre 1987 pour assister à la représentation du premier opéra de Korngold (compositeur autrichien exilé à Hollywood), La Ville morte, alors qu’il a été écrit en 1920 ! Ma démarche se base avant tout sur un partage culturel et un devoir de mémoire. Avec Musiques Interdites, nous tenons un propos esthétique, mais il est forcément doublé d’un volet politique sur les droits de l’homme. L’idée est de montrer que rien ne pourra jamais empêcher la créativité de l’homme. Ni les prisons, ni les dictatures.
Comment faites-vous pour trouver les partitions de ces « musiques dégénérées » comme les nommaient les nazis ?
Prenons l’exemple de Jan Meyerowitz (compositeur juif allemand), qui s’est retrouvé au Camp des Milles en fuyant l’Allemagne nazie. Lorsque Hitler envahit le Midi, il demande que toutes les personnes présentes dans le camp soient déportées. Malgré cela, Meyerowitz continue de composer des partitions qui parviennent à se faire entendre à l’extérieur. Je suis ami avec une famille marseillaise qui a participé à son sauvetage, j’ai donc pu consulter quelques-unes de ses œuvres. Il a fallu que je bataille pour en récupérer d’autres. Mais je ne suis pas seul, il y a de nombreux musicologues qui recherchent ce genre d’écrits, sans parler du mouvement de réhabilitation présent en Allemagne dans les années 70/80.
Si votre démarche est avant tout un devoir de mémoire, peut-on y voir un moyen de vaincre, sur le plan artistique, l’oppression nazie ?
Oui. Je pense qu’avec le patronage du Préfet, on peut dire qu’on a gagné. Mais la vraie victoire, le vrai pari se joue avec le rectorat, en permettant aux jeunes de retrouver l’émotion du lyrique et d’éveiller leur curiosité.
L’année dernière, vous aviez comme projet d’ajouter des œuvres iraniennes et arméniennes à la programmation, mais cela ne s’est pas concrétisé. Pourquoi ?
C’est le manque de moyens qui m’en a empêché. Mais le problème avec l’Iran, c’est que l’on se trouve à la limite de l’ethnologie. C’est une musique populaire : les autorités ne l’interdisent pas, mais elle est ignorée. Alors qu’en Arménie, c’est différent, il s’agit de musique savante.
Existe-il aujourd’hui encore des censures musicales ?
Oui. La première est d’ordre institutionnel, quand on choisit un répertoire au détriment d’un autre. Et comment se fait-il d’ailleurs que les musiques interdites par le IIIe Reich ne soient pas représentées dans les opéras français ?
Fabrice Lucchini s’est joint au festival lors des précédentes éditions pour lire des textes d’anciens déportés et de survivants, mais également en tant que mécène. Va-t-il continuer cette année encore ?
J’aimerais bien. Je devais aussi programmer sa fille en tant que récitante, mais cela a dû être reporté. Néanmoins, quand je ferai appel à lui, ce sera avec elle. Emma a un vrai rapport avec les acteurs. Et, surtout, elle a trente ans : une génération extérieure à tout ça.
Si, au départ, le festival se cantonnait au champ musical, il a peu à peu intégré d’autres disciplines comme les arts plastiques, le cinéma et la littérature avec, notamment, des textes de Kafka. Avez-vous pour ambition de représenter toutes les disciplines artistiques ?
Ça dépend de l’œuvre. Dans le cadre de la soirée consacrée à Meyerowitz, un travail de vidéo a été effectué spécifiquement pour cet évènement. Comme je possède énormément d’images d’archives, il est important de les projeter.
Propos recueillis par Ugo Pascolo