Une histoire populaire de la musique
Comme une suite à la précédente, la nouvelle édition du festival Nuit d’Hiver jongle avec les concepts de tradition, de contemporanéité et d’improvisation, pour faire tomber de nouvelles frontières. No comment peut-on lire en sous-titre, on va quand même s’y risquer…
En guise d’introduction, non pas un édito, mais une lettre, qui annonce la fusion imminente (début 2016) entre le Grim et le Gmem. Le Grim deviendra donc le Drim, le Département de Recherche et d’Improvisation Musicales, avant de s’implanter en 2017 à la Friche au sein d’une structure en forme de pôle musical. Mais que cela ne nous détourne pas de ce qui nous intéresse ici : la treizième édition d’un festival dont les enjeux ont largement dépassé le simple cadre des musiques dites « savantes », ou « écrites », c’est selon. Sans vous fusiller de terminologies, comprenez que là où d’habitude, l’improvisation s’attelait à questionner les idiomes de musiciens aux formations plutôt classiques, il s’agit désormais d’investir de plus vastes territoires : ceux de la pop culture au sens large du terme, jusqu’aux musiques populaires de transmission orale, les fameuses musiques traditionnelles, pour faire court. Rappelons brièvement que (pour des raisons idéologiques et sociales qu’il serait trop long et complexe d’énumérer ici) la France pèche sérieusement en la matière. Autrement dit : il y a bien longtemps qu’une bonne partie de « l’intelligentsia » se plaît à puiser dans les cultures populaires extra-occidentales tout ce qui lui paraît exotique, mais demeure ici et là un brin ignorante lorsque l’on évoque le timbre d’une cornemuse à miroir du Limousin ou la bourrée à deux temps. En témoigne donc l’inégale quantité d’enregistrements antérieurs aux années 60, ces fameux collectages qui ont forgé l’ethnomusicologie, et qui feront d’ailleurs l’objet d’une conférence menée par Catherine Perrier, instigatrice du mouvement folk. Si l’on revient donc de loin en la matière, et s’il y aura toujours des gens pour se plaindre ou renvoyer les mondes dos à dos, c’est un avenir radieux qui s’offre pourtant au musicien traditionnel contemporain depuis le milieu du siècle dernier. Celui qui élargit ses connaissances au-delà des milieux autorisés. Des « artistes incompris » évoqués par la séance d’écoute de Nicolas Debade au trio de percussionnistes sauvages de l’Ensemble Cerbère, en passant par l’ensemble Flux qui investit le répertoire contemporain avec l’instrumentarium traditionnel du Massif Central, il s’agit aussi, et ce sans en faire un concept à proprement parler, de renverser les codes, d’aller creuser dans tout ce que l’on a trop longtemps délaissé. Dans la marge, pour disséquer le jugement esthétique et comprendre, enfin, au-delà de nos préjugés les plus ancrés. Il est alors ici question de mécanismes, de ce qu’ils induisent, ce qu’ils autorisent et ce qu’ils écartent. Un jeu d’aller-retour fait de tensions entre improvisation, idiome culturel et contexte. Finalement, derrière No comment, il est donc question de musique, mais surtout de ceux qui la font.
Jordan Saïsset
Festival Nuit d’Hiver : jusqu’au 21/12 à Montévidéo (3 impasse Montévidéo, 6e).
Rens. : 04 91 04 69 59 / www.grim-marseille.com
Le programme complet du festival Nuit d’Hiver ici