Buzzomètre 212

Festival Reevox 2013

L’interview : Christian Zanési

 

En route pour la deuxième édition du festival multidisciplinaire Reevox initié par le GMEM, intelligent croisement des esthétiques d’hier et d’aujourd’hui. Si chacun des artistes invités mériterait une pleine page, une figure tutélaire et incontournable se dessine entre toutes : Christian Zanési, compositeur et directeur adjoint de l’historique Groupe de recherches musicales (GRM), affilié à l’INA et fondé en 58 par Pierre Shaeffer… Contact.

 

Vous dites que chaque compositeur a son propre son, comment décririez-vous le vôtre ?
C’est une question difficile. Ça me rappelle une anecdote tirée d’un Libération des années 90. Le journaliste y posait la même question à Xenakis. Il leur avait alors répondu que de l’intérieur, il ne savait pas. Je dirais que mon son est peut-être sensuel et raffiné, mais je n’en suis pas sûr.

 

Quel a été votre premier choc musical lié à une œuvre électronique ?
Au début des années 70, lorsque j’étais étudiant à l’Université de Pau. Un département Musique venait d’ouvrir. J’y ai eu un choc très particulier lorsque l’un de nos professeurs nous a fait écouter La Roue Ferris de Bernard Parmegiani, une œuvre exclusivement électronique.


La place de la musique concrète a-t-elle évolué depuis les années 50 ?
Oui, bien sûr. Jusqu’aux années 70, elle était plutôt réservée à des initiés. Aujourd’hui, toute une génération utilise l’informatique pour travailler le son. Elle se rattache de fait aux origines de Schaeffer. On peut également constater un grand besoin d’histoire, pour savoir ce qu’ont fait nos aînés, et afin d’alimenter les questionnements actuels.

 

Le GRM vient récemment d’éditer un coffret rétrospectif sur l’œuvre de François Bayle. Que représente-t-elle au sein du paysage musical français ?
Tout au long de sa vie, il a mené un combat qui consistait à dire que les musiques électroacoustiques, comme on les pratique au GRM, sont aussi élaborées et écrites que les musiques instrumentales. D’une certaine manière, il a gagné son combat : désormais, les jeunes gens qui sortent du Conservatoire connaissent son œuvre.


Considérez-vous que les sons issus de l’électronique forment une catégorie distincte des sons organiques et naturels ou bien un tout ?
Il n’y a pas de hiérarchie entre les sons, bien sûr, mais il est clair que les sons électroniques ont quelque chose de très particulier. Par contre, la frontière avec un son enregistré par un microphone est parfois très mince. Dans les années 70, je travaillais avec une famille de sons purement électroniques qui me plaisaient beaucoup… Un jour,  en attendant un rendez-vous assis sur un banc du Jardin des Plantes, un canard (peut-être un canard exotique) s’est approché de moi en émettant exactement le même son que l’un de ceux sur lesquels je travaillais… J’ai alors pris conscience que tous les sons fabriqués de manière artificielle doivent (ou ont dû) exister dans la nature.

 

Comment décririez-vous l’héritage de Pierre Schaeffer ?
Il a eu l’audace d’appeler « musique » un travail sur des sons. Les outils qu’il possédait étaient alors sommaires, mais ils permettaient ce que l’on peut appeler les opérations fondamentales d’écriture de la musique. Les mêmes opérations que l’on retrouve sur un ordinateur : les volumes, la superposition des sons, l’agencement, etc. Ce qui a changé, ce sont les mentalités. On n’entend plus la musique de la même manière que par le passé. Les opérations musicales sont quant à elles constantes, je les appelle les « invariants ». Les mêmes qui permettent de faire de la musique avec un ordinateur comme on le ferait avec un instrument. Par contre, il convient de ne pas être obsédé par l’héritage (on n’est pas au musée), il vaut mieux s’en servir pour comprendre ce que l’on fait.


Un de vos morceaux, Marseille 2, s’inspire directement de l’univers sonore marseillais, on y entend même des bateaux. Cette ville vous aurait-elle marquée ?
Oui. On y entend un bateau ! Le France, lors de son dernier passage à Marseille, en 98. Cet extrait a été enregistré par Michel Kelemenis. J’étais alors en train de composer la musique de sa chorégraphie en hommage à Marseille, Le Paradoxe de la femme-poisson, et ce son m’a ému.


Justement, peut-on considérer votre projet avec Michel Kelemenis, alliant la danse à la musique, comme une continuité dans votre processus compositionnel ?
Les sons créent des images mentales, des sensations. Ils réveillent une expérience que l’on a tous faite. Chacun crée des images à partir de son vécu. C’est très complexe comme processus. Ce qui compte, c’est la conduite du temps : comment les événements apparaissent, disparaissent…

 

Peut-on interpréter votre duo avec Arnaud Rebotini comme une réaffirmation des affiliations certaines entre les musiques électroacoustiques et la techno ?
C’est quelqu’un avec qui j’avais travaillé au début des années 2000, et le courant était passé entre nous. Ça nous intéressait de mélanger nos deux univers sonores. La musique techno brute a pour fonction première de faire danser. Une fonction que l’on peut, comme une autre, faire muter. On se situe alors dans un entre-deux très intéressant. Evidemment, certaines musiques des années 70 ont des esthétiques très proches de la techno.


Aujourd’hui, quelles sont les principales missions du GRM ?
Presque les mêmes qu’à l’origine. C’est un lieu d’expérimentation où l’on compose et l’on partage nos recherches. On y crée également des outils (les fameux GRM Tools) de composition informatique. Ensuite, et parce que le GRM fait partie de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) nous préservons des milliers d’œuvres en les mettant à disposition du public sous la forme de disques et d’ouvrages. Nous nous consacrons donc à la fois au passé, au présent et à l’avenir.

 

Propos recueillis par Jordan Saïsset

 

Festival Reevox, du 5 au 9/02 à Marseille.
Rens. www.gmem.org

Chrsitian Zanési jouera le 7/02 à Klap Maison Pour la Danse (5 avenue Rostand, 3e) et le 9/02 au Cabaret Aléatoire (Friche la Belle de Mai, 41 rue Jobin, 3e).
Rens. www.inagrm.com