Festival Télérama 2019
Les regards d’Ulysse
L’hebdomadaire Télérama propose aux salles hexagonales — dont certaines en région PACA — la nouvelle programmation de son festival annuel du 16 au 22 janvier. Las, une nouvelle fois, peu de risques pris par le journal, et la confirmation d’une certaine idée du cinéma.
L’histoire de l’écriture critique dans le champ cinématographique se fond dans l’hexagone, à quelques décennies près, avec celle de l’image en mouvement. Cette exception culturelle, qui essaimera aux quatre coins du globe et développera la question de l’analyse filmique, fut déjà prégnante dans les années vingt, avec entre autres Louis Delluc, inventeur du terme cinéaste. L’âge d’or sera atteint après-guerre, avec la création des Cahiers du Cinéma et de Positif, et la contribution plus générale de grandes plumes telles André Bazin ou Bernard Chardère. Entre critique et création, les ponts sont bâtis : les jeunes loups de la Nouvelle Vague enjambent les deux rives, revenant parfois à leurs premières amours. Suivront dans les décennies à venir, parmi tant d’autres, Serge Daney, Michel Ciment ou Jean-Michel Frodon, qui contribueront à élever la critique cinématographique au rang de genre littéraire à part entière. À l’aune de cet héritage, quel regard porter sur l’état de la critique en France ? Hormis une poignée d’excellentes références (de l’indémodable Trafic au plus récent Dérives), force est de constater que l’état des lieux laisse songeur. Les mass médias culturels ont parfaitement digéré l’uniformisation industrielle qui affecte aujourd’hui la création cinématographique, et s’en font allègrement les porte-voix. À commencer par l’une des références en la matière, Télérama, dont la ligne éditoriale n’ose plus, peu ou prou, s’aventurer dans les chemins de traverse de la création, pourtant bien présents, continuant année après année d’être la représentation d’un art redevenu bourgeois, où l’idéologie culturelle l’a emporté sur la réinvention des formes. Point d’orgue de cette triste mutation, le festival éponyme organisé par l’hebdomadaire nous propose un flash-back sur les sorties récentes, « les 16 meilleurs films de 2018 » (sic). Traduction : une poignée d’œuvres qui affichèrent un Ulysse hilare ces douze derniers mois. Bien évidemment, quelques beaux films se logent dans cette programmation, mais on ne peut s’empêcher de se pincer à la lecture du menu, d’y retrouver le très surestimé Phantom Thread du non moins surestimé Paul Thomas Anderson, les très indispensables Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré ou L’Île aux chiens de Wes Anderson, sans oublier le pénible En liberté ! de Pierre Salvadori. Exit, donc, les films dits fragiles (affreuse dénomination qui a pourtant cours chez les professionnels de la profession) qui nous ont renversés par leur beauté et leur hardiesse, de Winter Brothers à Cassandro the Exotico !, en passant par Terra Franca, Sonate pour Roos ou Il se passe quelque chose. Fort heureusement, l’occasion nous est tout de même donnée de (re)voir, lors de ce festival Télérama, les très beaux Une pluie sans fin de Dong Yue, Leto de Kirill Serebrennikov, Amanda de Mikhaël Hers ou Burning de Lee Chang-Dong, petite compensation d’une manifestation qui gagnerait à être un peu plus intrépide.
Emmanuel Vigne
Festival Télérama : du 15 au 22/01 dans différentes salles de la Région (L’Alhambra à Marseille, le Mazarin et le Renoir à Aix, le Cinéma Jean Renoir à Martigues).
Rens. www.telerama.fr/cinema/festival-cinema-telerama-2019-voici-la-liste-des-16-films-au-programme,n5898593.php
Le programme complet du Festival Cinéma Télérama ici