Festival Tendance Clown
Pitres de noblesse
Pas évident de prendre du recul sur soi, surtout au point d’en faire un spectacle. C’est pourtant ce à quoi s’attache le clown contemporain qui, derrière des a priori caricaturaux, demeure un formidable reflet de l’âme humaine, en même temps qu’un thermomètre de la société. « Arrête de faire le clown ! », s’est-on tous entendu dire un jour. Au contraire, semble rétorquer le Daki Ling, qui remet les choses à leur (vraie) place avec la neuvième édition du festival Tendance Clown.
Exit les nez rouges, les chutes, les marguerites arroseuses… Le clown d’aujourd’hui s’est affranchi des codes, à l’instar de Jango Edwards. Quarante ans que ce savant de la bouffonnerie fait rire le monde, entre provocations et éclaboussures. Avec une date unique en France, il sera la star incontestée d’un Tendance Clown placé sous le signe de la dérision, de la transgression, mais aussi de la tendresse. Le festival proposé par le Daki Ling n’en oubliera pas pour autant de jeter un œil sur la tradition, avec Les Démodés de Leandre et La Tal : des vieux clowns mis au ban du monde du rire. A contrario, la création de la compagnie 1Watt, Be Claude, s’inscrit pleinement dans le contemporain en proposant aux spectateurs de suivre un homme au gré d’une déambulation dans laquelle il lave instinctivement des vitres, au point qu’il s’en oublierait presque. Si la pièce offre progressivement une part de féminité à son protagoniste, la femme est directement le sujet d’Eliane, redéfinition loufoque et esthétisante du « deuxième sexe » par Jackie Star & Cie. Dans un tout autre registre, la compagnie 26000 Couverts nous invite en Afrique avec Attifa de Yambolé, un voyage a priori anecdotique, mais dépassant les préjugés. Voyage toujours avec Road Tripes de la compagnie Kitschnette, sorte de Thelma et Louise sur les planches mettant en vedette deux comédiennes jubilant, libres et vivantes. Mais la palme de la loufoquerie reviendra probablement à la création Out ! de Maboul Distorsion : un match de « air tennis », sans raquette ni balles mais avec de vrais morceaux d’échanges burlesques dedans.
La folie, les femmes, les préjugés, les voyages, le sport… et pourquoi pas la mort ? Kiki le clown vient de décéder. C’était un père, pas si marrant que ça d’ailleurs… Ses fils peignent le tableau grotesque de l’héritage de l’humour paternel, Ainsi soit-il ! Tout autant macabre, Les Pompes funestes de la Compagnie des Ô raconte, dans un grand numéro freak et noir, le devoir de continuer le spectacle malgré la perte d’un être cher.
Où le clown, plus que jamais, nous tend un miroir pour observer notre propre réalité… Son identité, aussi multiple et paradoxale que la nôtre, pose question. Dans le documentaire Tout va bien, l’équipe de Lardux Film, qui a intégré pendant deux ans la célèbre école du Samovar — où l’on apprend à trouver son clown —, apporte un début de réponse. Au-delà de ce processus, l’histoire même du personnage, depuis la Grèce antique jusqu’à aujourd’hui, sera dévoilée sur scène dans le touchant Gai Savoir du clown de la compagnie Tutti Troppo, avec Alain Gautré, grand monsieur du genre qui n’était pas remonté sur les planches depuis quarante ans.
De petites anecdotes en problématiques plus sérieuses, le clown est partout, parmi nous, en vous.
Elise Lavigne