L’entretien
Arthur Durigon (Festival Yeah !)
La jolie parenthèse musicale qu’offrait à nos printemps le Festival Yeah ! est enfin de retour, dans la formule (presque) inchangée qui lui a valu son succès fou. Le petit village luberonnais de Lourmarin s’emplira, du 3 au 5 juin, de quelques centaines de chanceux, d’une pléiade d’artistes pour la plupart encore à découvrir, d’une panoplie d’à-côtés divertissants et loufoques, de petits locaux et de grands enfants, de bénévoles inconditionnels, de saveurs provençales et de campeurs chics. Bref, un petit régal, dont nous parle Arthur Durigon, l’une des trois têtes pensantes de l’événement.
Après trois ans d’arrêt, vous devez être très excités de reprendre !
Ouais, carrément, mais je t’avoue qu’on est quand même bien rouillés ! Ça doit dépendre un peu des structures et des organisations mais c’est vrai que nous, membres de l’équipe, avons tous un job à côté, du coup on est un peu partis sur autre chose, en gardant la volonté de revenir quand ça serait possible. Mais une fois que ça reprend et que ton esprit s’est mis dans un autre mode de fonctionnement, tu as un peu perdu tes habitudes et tes réflexes, donc il y a un côté un peu poussif dans l’organisation, mais on sent l’excitation de l’échéance qui s’approche et on se dit qu’un fois qu’on sera dedans, a priori nos bons vieux réflexes devraient revenir !
Surtout que vous êtes attendus au tournant ! Vu la rapidité à laquelle se sont vendues les entrées cette année, en quelques minutes…
Ça c’est pareil, on se demandait si les gens étaient passés à autre chose après ces deux années, et si la notoriété serait retombée un peu mais ça n’a pas été le cas du tout, ce qui est une bonne nouvelle. D’autant que cette année, on n’a pas trop joué sur les grosses têtes d’affiche mais plutôt sur une programmation représentative de ce qu’on aime. Comme d’habitude, sauf que normalement il y a toujours un ou deux noms que les gens connaissent, et là, cette année, on nous a pas mal dit : « Je connais rien », et je trouve ça super !
En parlant programmation, d’ailleurs, pourquoi ces choix ? Comment vous choisissez les artistes ?
Il y a plusieurs choses : d’abord, évidemment, les projets qui nous excitent, qui restent quand même ce qui nous le plus marrer niveau prog’. Cette année, pareil, sur la prog’ ça a été un peu poussif. Le festival ayant lieu en juin, normalement la programmation se décide autour de décembre/janvier principalement. Sur cette édition, cet hiver on était encore en pleine vague de Covid, tout le monde était un peu sur la défensive. Il y a plein de pistes qu’on a lancées qui finalement s’annulaient, par exemple des projets sud-africains… Comme pas mal de choses tombaient à l’eau, on s’est dit qu’on allait resserrer un peu et s’aiguiller sur des groupes francophones, se disant que pour les trajets, ce serait plus simple.
On retrouve pas mal de rock dans votre programmation 2022. Est-ce un hasard qui découle de ces récentes conditions ou est-ce un choix conscient ?
En fait, c’est vraiment un hasard. Selon moi, on a toujours la même esthétique musicale, avec un curseur qui peut passer de la pop à l’électro. Je ne m’étais pas fait la réflexion mais c’est vrai que ce curseur, cette année, tire sur le rock. Généralement, on pense à quelques noms qui se confirment assez vite, puis après on se demande ce qui pourrait aller avec !
Toi, personnellement, quels sont les groupes que tu affectionnes particulièrement ou ceux que tu as hâte de découvrir sur scène ?
On est trois programmateurs sur le festival (avec Laurent Garnier et Nicolas Galina, ndlr), et c’est assez marrant mais c’est une des premières fois où j’ai envie de tout voir ! Tous les projets m’intéressent. Je peux te citer Lucie Antunes, dont je suis un inconditionnel. Crack Cloud, on essaye de les faire jouer depuis 2019 donc il me tarde ! On retrouve aussi Gaspard Claus, grand habitué du Yeah ! À se demander même si il ne fait pas des nouveaux projets pour revenir chaque année ! (rires). C’est même devenu un ami. Autrement, La Jungle, ça m’excite beaucoup, ou Clap Trap, un petit nouveau que je trouve hyper élégant. Mandelson, c’est pareil, ce sont un peu des habitués dont je veux voir le dernier album et comment ils mettent en scène la fin du groupe (ils viennent de sortir Le Dernier Album, ndlr). On a aussi plein d’à-côtés festifs dans le village, c’est super agréable.
Justement cette année, quelles sont les activités parallèles prévues ? Vous avez réfléchi à des nouveautés ?
On était d’abord partis sur de grandes prétentions sur ce retour ! Mais on s’est assez vite rendu compte qu’on était un peu à la ramasse. Du coup on a décidé de se concentrer sur ce dont on se souvenait ! Il y donc des spots intacts : des concerts à la fraîche dans les caves du château en journée, un temps fort pour les gamins le samedi avec une grosse chasse au trésor, et le gros tournoi de boules en parallèle à côté… Ce sont les rendez-vous clef qu’on adore et qu’on avait envie de garder. En 2019, on avait eu l’idée d’un loto un peu décalé pour coller aux grands classiques des villages et ça a bien marché ! On garde aussi le rendez-vous du dimanche au tennis, qui est l’événement festif qui réunit pas mal de monde, et cette année on l’oriente plutôt sur une thématique de carnaval brésilien puisque nos copains des Sheitan Brothers viennent avec deux autres dj sous le nom de Furie Soundsystem.
Qu’en est-il de la Fruitière numérique ?
On a envie d’en faire une place forte du festival. C’est un tiers-lieu à Lourmarin qui réunit un coworking, un auditorium et un Fab Lab, qui possède une belle dynamique. Le lieu est incroyable et tout équipé. Donc en gros, on veut durant le festival y mêler nouvelles technologies et musique. Cette année, on propose une installation des frères Bodart qui ont fabriqué ce qu’ils appellent un « pianographe » : tu joues sur une espèce d’orgue et ça génère des vidéos aléatoires en live. En fonction des mélodies, ça crée différents graphismes. Tout ça sera ouvert au public, invité à venir tester. Le dimanche, ce sera au tour des artistes de venir s’emparer de l’installation et improviser.
Pour des gens rouillés, vous avez quand même un sacré programme !
C’est vrai qu’on en a fait plus que d’habitude. Ah oui, on va aussi lancer à la Fruitière la « plus petite boîte de nuit de jour » ! Ça va être « kitchouille », avec tous les codes de la boîte de nuit, la boule à facettes et compagnie, dans un espace où tu peux faire rentrer quarante personnes grand max ! Là, la prog’ sera secrète, et ça peut aussi bien être des superstars que des inconnus qui joueront ! Seuls les gens qui tendront l’oreille et seront curieux pourront les voir. On va le faire « à la cool », comme on aime le dire, ce qui en réalité signifie « à l’arrache » ! (rires). C’est un test. Et le vigile sera un enfant !
D’ailleurs, les enfants gardent une place centrale dans votre festival depuis toujours…
Ça nous tient à cœur et ça nous a paru indispensable dans un festival de village comme le nôtre. À partir du moment où on a su qu’on avait accès aux terrasses du château pour le festival et qu’on allait donc se lancer à Lourmarin, ça nous a paru évident de rester dans l’esprit du village et d’intégrer tout le monde. Dès les premières éditions, ça a vachement fédéré, tu reçois beaucoup d’aide des locaux et c’est hyper heureux, ça nous booste ! Quand tu grandis dans un village, tu es un peu coupé de toute prétention culturelle, ça va juste au gré du 14 juillet et de la fête de la courge. On a vu l’excitation des gamins quand ils avaient six ans et qu’ils voulaient voir des concerts. On ouvre à 18h30 exprès, en gratuit pour les gamins. Du coup, ils peuvent voir leurs premiers concerts. Cette année, ces mêmes gamins qui ont six ans de plus deviennent bénévoles ! On rassemble tout le monde autour d’une culture, mais avec leurs codes. Quand tu t’ancres dans le territoire, il faut comprendre comment ça fonctionne, pour ne pas arriver avec ses gros sabots…
Propos recueillis par Lucie Ponthieux Bertram
Festival Yeah ! : du 4 au 6/06 à Lourmarin (84).
Rens. : https://festivalyeah.fr