Les B.O. de Provence
En plein cœur de la Provence, entre pays arlésien et massif des Alpilles, le festival ZinZan propulse les musiques traditionnelles dans l’espace pour les voir redescendre sous des formes nouvelles.
« La Provence a été très tôt folklorisée et les pratiques y sont complètement différentes des autres pays d’Oc. Depuis Mistral et Baroncelli, qui étaient des visionnaires et participaient à la tradition par l’invention et la création, personne ou peu n’a osé à leur disparition prolonger ce mouvement de tradition vivante. C’est la “maintenance” par le folklore qui a pris toute la place, gravant dans le marbre les fêtes et pratiques du XIXe siècle, sans qu’au siècle d’après de nouveaux visionnaires en portent de nouvelles. Il y a donc eu une espèce de schisme entre le folklore qui s’est détaché de la vie courante de chacun et des pratiques qui se sont perdues, puis retrouvées sous de nouvelles formes dans leur nouveau siècle. On se retrouve alors aujourd’hui avec un terreau fertile, une histoire forte, un héritage important, des artistes inventifs et des pratiques émergentes… » Henri Maquet, membre de l’équipe organisatrice du ZinZan et musicien, sait de quoi il parle en matière de musiques dites traditionnelles ou, plus largement, de répertoires populaires de transmission orale.
Pas la peine de tourner autour du pot : il semble persister en France une sorte de tabou envers la musique traditionnelle, celle des peuples d’avant la société industrielle en somme, pour la faire courte. Sans refaire ici l’histoire de France, de nombreux facteurs convergent en ce sens, faisant place à l’ignorance d’abord, à la rigolade ensuite, au mépris parfois. Un mépris qui s’affiche étonnement sans complexes, encore, dans notre société post-coloniale. Pendant ce temps, à quelques encablures, de véritables nerds de bourrées à deux ou trois temps défoncent les planchers et font des centaines de bornes pour tester, à quatre, à huit, à quinze, des pas de danses arrachés de l’oubli et les faire vivre en s’amusant. Et ce, le plus naturellement du monde. Lorsque d’autres, tapis dans leurs laboratoires camarguais ou montagneux, réapprennent la langue maternelle de leurs grands-parents et bazardent galoubets, vieilles à roue ou cornemuses à travers synthés modulaires et filtres poussiéreux. Ces mondes (méprisés par ceux-là mêmes qui doivent en rêver en secret) sont là, mais pourquoi donc toujours ce voile ?
« Je pense que le complexe est entretenu par la centralisation du territoire, mais surtout par la centralisation du pouvoir en général. La culture, au sens ministériel du terme, est devenu un outil de com’ et une vitrine idéologique du pouvoir dominant. La culture, au sens où nous la pratiquons, est le vecteur d’expressions libres, de transmission de savoir (hors école !), d’idées nouvelles, de liberté ou de contestations. Le fait qu’on entende régulièrement les politiques taper sur les langues régionales à coup de “repli sur soi” ou de “communautarisme” montre juste qu’ils n’ont pas d’arguments sérieux, mais surtout qu’ils craignent cette culture qui leur échappe, qu’ils n’ont pas apprise à l’école et qu’ils n’ont surtout pas appris à maîtriser, à manipuler. »
Bien connu des curieux et des initiés, installé dans des cadres somptueux, le festival ZinZan est devenu un incontournable du genre. Le temps d’un week-end bien chargé, entre concerts, ateliers, stages, mini-spectacles, création d’une radio, rencontres et expérimentations en tout genre, l’équipe de bénévoles convie à sa table la crème de la musique traditionnelle dans tout ce qu’elle a de musicalement fascinant. Du duo de viellistes Tournicoton Electrad’Oc au balèti interstellaire des Bal Pop Trònic en passant par Super Parquet ou les pérégrinations « kaléidoscopiques » du violoniste Sourdure, il s’agira notamment de « casser les codes, supprimer les distances public-artiste, public-organisation. Cuisine maison, tout le monde mange à la même table. Le public devient artiste, l’artiste orga’, l’orga’ public ou artiste. » Le fruit d’un véritable travail au quotidien, dans un espace qui s’ignore trop souvent, ou qui n’a pour seul miroir qu’une carte postale passéiste en tête. « Ce qui donne confiance, c’est le travail de terrain, notamment de structures qui travaillent sur l’aspect environnemental et sur de nouvelles visions des territoires. Ils intègrent la portée durable de ces pratiques culturelles. Ils comprennent la force de cohésion, la possibilité de participation, l’interaction avec le patrimoine, l’environnement, l’économie locale. » A l’intersection des mondes, du local à l’universel, vous saurez désormais où trouver le ZinZan.
Jordan Saïsset
Festival ZinZan, du 20 au 23/08 aux Baux-de-Provence et à Orgon
Rens. : www.zinzan.festival.sitew.fr / 06 83 42 09 08
La programmation détaillée du Festival ZinZan ici