Brassage comme une image
On a essayé de mettre le doigt sur ce qui fait de la Fiesta un événement toujours à part dans le paysage, après vingt-cinq ans de bons et loyaux services.
Ok, la Fiesta, c’est d’abord un lieu : depuis une dizaine d’années, après quelques pérégrinations, elle a pris racine au Dock des Suds, site emblématique de l’histoire industrielle et portuaire de Marseille… alors qu’il servait auparavant au stockage d’épices. Tout un symbole, diront certains. En jetant l’ancre à quelques encablures du Port Autonome, la Fiesta fait donc le lien entre le passé et l’avenir de la cité phocéenne. Une sorte de réconciliation à taille humaine, à l’image des populations qui font le Marseille que l’on connaît aujourd’hui. La Fiesta, c’est aussi des couleurs, vives, méditerranéennes, provençales, catalanes ou hispanisantes : latines. Cette année d’ailleurs, l’affiche, qui représente en son centre un cargo (affublé d’une tête de taureau), symbole portuaire s’il en est, semble ainsi nous inviter au voyage, ou nous ramener à bon port, c’est selon.
Les installations et passages réguliers d’artistes plasticiens ou de photographes ont aussi permis de mettre en valeur les bâtiments en leur donnant une nouvelle identité, une nouvelle atmosphère. Car la Fiesta, c’est aussi une ambiance, et contrairement à bon nombre de festivals, elle a lieu à l’automne, parvenant pourtant à rassembler les Marseillais génération après génération autour de sonorités « du Sud » au sens large, au moment où les terrasses se couvrent et les soirées d’été plient boutique. Comme pour mieux se préparer à traverser l’hiver qui approche, sans enterrer pour autant des modes de vie plus enclins aux pérégrinations extérieures que dans le Nord de l’Europe…
Il y a donc la Fiesta, oui, mais aussi la Fiesta des Minots : un mercredi après-midi pas comme les autres pour découvrir, en famille, les arts du spectacle sous différentes formes, au fil de représentations grand format et d’animations parfois gérées par les enfants eux-mêmes. Des stands d’éveil à l’écologie, des ateliers de peinture pour les plus petits, des contes clôturés par la Boum des Minots permettant d’apprendre en s’amusant, et de faire, aussi, la fête comme les parents…
Depuis 1992, et ce dans une forme de « liesse populaire », la Fiesta prône la même mixité et la diversité dans une ville qui peine pourtant, derrière tous les grands discours et fantasmes, à rassembler de la sorte en dehors du stade. Cela en croisant têtes d’affiches et musiciens en devenir, artistes d’ici (Deluxe, Moussu T, PinkNoColor) et d’ailleurs (Thiéfaine, Louise Attaque…). Au final, chacun vient pour son artiste favori et repart enrichi par la découverte faite à côté. On se souvient ainsi de Tumi and the Volume, quatuor venu d’Afrique du Sud et porté par son chanteur dodu et doué, ou encore IMS, pépite d’or mexicaine…
Cette année, avis est lancé aux amateurs de sensations punk/rock garage avec The Dizzy Brains, jeune groupe malgache qui hurle son rock militant. Dans une programmation jalonnée de groupes dénichés en vadrouille dans les festivals en France ou à l’autre bout du globe par une équipe dédiée pour l’occasion. La Fiesta trouve ainsi son accomplissement en trouvant des groupes qui n’hésitent pas à mélanger leurs particularismes culturels à des grands standards occidentaux, comme la funk, hip-hop ou le rock. Ainsi, La Yegros, venu d’Argentine, distille sa nueva cumbia avec ferveur. Des musiques qui dévoilent une nouvelle dimension, nous rappelant au passage que les frontières n’ont pas de prise sur l’imaginaire de l’homme et les notes qui en découlent. Le résultat est toujours pertinent : un brassage transgénérationnel dans la société du compartiment.
En haut de l’affiche, citons Cassius, les Naïve New Beaters ou les Puppetmastaz… et côté platines, des activistes locaux devenus incontournables : Oil, Paul Virgo ou Bobzilla…
Les musiques occitanes seront quant à elles à l’honneur trois soirs durant, que ce soit en compagnie des Provençaux de Moussu T e Lei Jovents ou des Italiens de Lou Seriol (l’Occitanie débordant allègrement sur les vallées du Piémont). Tout comme la culture catalane donc, à travers un fameux Cabaret, dans un éternel clin d’œil vers la Méditerranée et la grande cousine Barcelone. Autant d’axes culturels logiques, à dix milles lieues du premier roman national.
Cécile Mathieu
Fiesta des Suds : du 19 au 22/10 au Dock des Suds (12 rue Urbain V, 2e).
Rens. : 04 91 99 00 00 / www.dock-des-suds.org
Le programme complet de la Fiesta des Suds ici
Focus
Moussu T e lei Jovents
Quel parcours que celui de Tatou, alias Moussu T, depuis les premières cassettes, les premiers riddims et les premiers sound systems Cours Julien, jusqu’aux dizaines et dizaines de concerts enchaînés à travers le monde au sein du Massilia, qu’il montera vers la fin des années 80 dans une volonté de se faire croiser, entre autres, la culture occitane et jamaïcaine, les troubadours et Bob Marley. Cela en se révolutionnant au passage la notion de folklore marseillais. La suite, on la connaît, sauf qu’au début des années 2000, en plus de continuer l’aventure Massilia, Tatou et le guitariste Blu se lancent en parallèle, et ce depuis La Ciotat, dans ce qui sera une sorte de réhabilitation des années 20/30 marseillaises et provençales, à travers chansons, chansonnettes et ballades blues dans lesquelles Victor Gélu rencontrerait Vincent Scotto ou Robert Johnson et Joe Hill. « Entre poésie urbaine occitane, rythmes créoles et guitare blues », le groupe vient de sortir son neuvième album, Navega !, peut-être plus rock que les précédents, mais sans trahir cette belle volonté de monter des chansons pour le quotidien. Des chansons que l’on se réapproprie. Des chansons que l’on fait siennes, que l’on trimballe dans nos bagages ou que l’on sifflote simplement le dimanche sur le port… à La Ciotat bien sûr.
Jordan Saïsset
Le 20/10 à la Fiesta.
Rens. : www.moussuteleijovents.com