Figaro par la Cie Marius
L’Interview
Waas Gramser (Compagnie Marius)
Waas Gramser et Kris Van Trier, les deux acolytes de la compagnie belge Marius, comptent de nombreux adeptes dans la région, prêts à faire des kilomètres pour voir leurs spectacles jusqu’alors essentiellement tirés de l’œuvre de Marcel Pagnol. Leur humour exacerbé par leur irrésistible accent flamand, leur dispositif scénique proche du théâtre de tréteaux, leur esprit d’échange et de convivialité et les lieux improbables en plein air où ils se produisent sont déjà des raisons suffisantes pour aller à la rencontre de cette compagnie atypique. Direction Anvers pour une petite conversation, sans traducteur, avec Waas Gramser, l’actrice qui joue Figaro.
Spécialiste de l’œuvre de Pagnol, pourquoi monter un Beaumarchais en pleine célébration de l’année Pagnol en France ?
Bien sûr, nous aurions aimé jouer toutes nos pièces de Pagnol à Aubagne mais, pour des questions budgétaires, cela n’a malheureusement pas été possible. Nous devions jouer Manon et Jean dans la garrigue en août… mais finalement, nous ne présenterons que Le Schpountz en septembre dans le cadre de la programmation du Théâtre Comœdia, en extérieur, sur une petite place du centre-ville.
Pourquoi Beaumarchais ?
Après Le Schpountz, nous avons lu beaucoup de pièces. Nous le faisons toute l’année, des spectateurs nous font souvent des propositions… Donc on lit tout : des classiques de Molière aux pièces inconnues, avec une préférence pour les pièces un peu oubliées. En Belgique, celles de Beaumarchais sont vraiment très peu connues. Son nom n’est même plus mentionné sur les pochettes de disques d’opéra de Figaro. Après l’avoir lu sur les conseils d’un spectateur, nous avons acheté les textes en français et en traduction néerlandaise datant de 1920. Kris, mon compagnon de route, était enthousiaste. Nous appelons ça des « discussions de procédures ». L’histoire et la psychologie des personnages — deux points d’accroche classiques dans le théâtre bourgeois — sont mis au deuxième plan, en faveur d’une petite discussion autour du pourquoi ou du comment des phrases prononcées. S’agissant d’une pièce du 18e siècle, c’est très décalé et moderne. En lisant cette pièce dans une vieille édition écrite au passé simple, Kris l’a aussi ressentie comme une dramaturgie très contemporaine. Cette combinaison de petites conversations entre les acteurs l’a énormément surpris et intéressé. Je l’ai lue à mon tour et n’y comprenais rien. L’intrigue, ou plutôt la totalité des intrigues, était trop compliqué pour moi qui justement aime toujours avoir une vue totale de ce qui se passe. Alors que Kris préfère s’imprégner de l’atmosphère, du ton, des dialogues, du rythme, des qualités théâtrales. Je me suis donc mise à lire Le Barbier de Séville et, instantanément, j’ai beaucoup aimé la simplicité de l’intrigue, les dialogues et les situations. Je trouve cela en même temps très brutal et léger, mais surtout j’aime la langue très directe. Et le fait que tout le monde parle en aparté et que c’est tellement exagéré que l’on finit par se demander « Mais qui parle à qui ? ». Un personnage dit justement à un moment donné : « Tout le monde est dans le secret ». Nous aussi, notre forme de théâtre est dirigée souvent vers le public, le quatrième mur n’existe plus. Dès lors, parler en aparté n’a rien de nouveau. Mais l’exagération de ces apartés en fait un jeu qui devient le sujet d’une scène et c’est attirant. Je me suis dit que Beaumarchais était un bon dramaturge qui écrit pour les acteurs. Nous en sommes arrivés à la situation ou j’étais pour Le Barbier et Kris pour Les Noces/Le Mariage de Figaro, et nous sommes tombés d’accord sur le fait que si chacun défendait une des deux pièces, il y avait suffisamment de raisons pour se lancer dans ce projet.
Vous avez donc mixé les deux pièces ?
Oui, c’était clair pour moi, pour plusieurs raisons. D’abord, le fait que nous n’allions pas faire déplacer le public pour une heure de représentation en sachant que nous leur demandons souvent de se déplacer hors de la ville, de prendre des navettes, marcher… Et puis l’autre raison est que l’on sent une mutation de l’écriture entre les deux pièces. Le Barbier est une pièce jeune, alors que le ton dans Les Noces/Le Mariage de Figaro est beaucoup plus complexe, la dramaturgie plus raffinée. Il n’y a pas la même maturité dans les deux pièces, et suivre l’évolution d’un écrivain est une des préoccupations de notre travail. Nous espérons que le public partagera notre idée et verra l’intérêt de lui montrer le cheminement du dramaturge.
Votre choix a-t-il été orienté par le fait que ce soit une comédie et que ce théâtre, à l’image du personnage de Figaro, ait un côté populaire ?
Je connais trop peu l’histoire du théâtre pour savoir quelles pièces sont populaires ou si elles sont nommées autrement. Les gens utilisent beaucoup ce qualificatif de populaire en parlant de notre théâtre. Nous cherchions une langue directe car la traduction est le plus long travail dans le processus artistique. Je suis donc d’accord avec cette appellation, mais cela ne veut pas dire que c’est du théâtre facile car nous demandons un investissement au public : nous l’invitons sur un gradin en bois, proposons une pièce de quatre heures, avec dans la deuxième partie une intrigue plus complexe… ce n’est pas de tout confort ! (rires) Mais ça marche très bien parce que nous, acteurs, nous retrouvons dans la même situation que le public : à jouer quatre heures, à avoir chaud…
Votre adaptation de Figaro est-elle plus proche du théâtre ou de l’opéra ?
Il y a de la musique dedans. C’est un défi du texte, le fait que le passage musical soit un des points d’attraction. La question était : comment des acteurs non chanteurs professionnels vont-ils les jouer ? J’ai fait une chose très simple, j’ai écouté les deux opéras et me suis posé la question de quels airs étaient les plus beaux et les plus connus. Pour qu’un public de théâtre, non initié à l’opéra, se dise « Ah c’est ça, c’est cet opéra ! ». Trouver un point de reconnaissance. Pour donner juste ce simple plaisir de reconnaître des arias. Et aussi, nous avons cherché où il y avait les scènes musicales chez Beaumarchais et on s’est demandé : est-ce que l’on peut se permettre de quitter Beaumarchais et d’aller vers le libretto ? Dans l’opéra, il y a une répétition tout le temps. On trouve cela un peu ridicule car tout le monde répète tout le temps les mêmes choses, alors on s’est dit que l’on pouvait garder la beauté des fragments musicaux mais en soulignant leur humour.
Dans la plupart des mises en scène des Noces de Figaro, même si elles sont super belles, il n’y a pas d’humour du tout. Alors on s’est dit que comme nous sommes toujours à la recherche de la légèreté, dans nos pièces et dans le comportement des gens, voilà une chance de mettre cela en lumière et de garder notre position d’acteur privilégiant le texte.
Jouer la première française à Istres, après sa création l’été dernier à Anvers, est-ce un hasard du calendrier, un partenariat ?
C’est un peu par hasard… On a aussi joué en 2007 la première de Manon et Jean ici à Istres. On apprécie beaucoup cette longue histoire que l’on a avec cette ville. On a un public très fidèle, très enthousiaste, tout comme l’équipe du théâtre. Nous sommes donc super contents que la première ait lieu là, dans ce petit village où le gradin est toujours plein à craquer. C’est le point de départ idéal pour la tournée française. C’est tout près de l’étang de Berre.
Vous avez une démarche par rapport au développement durable, par exemple l’aménagement de conteneurs en bureau…
Oui, nous sommes totalement dans cette démarche-là. Une chose que l’on oublie est que comme nous jouons en plein air, dès que les gradins ne sont pas là, le lieu redevient ce qu’il était avant notre venue : un espace public, un lieu naturel ou industriel. Le théâtre n’existe que dans la mémoire de celui qui l’a vu.
Pour les containers, nous avons vraiment mesuré casier par casier, chaise par chaise, de combien d’espace nous avons besoin. On a construit selon le strict nécessaire. Il y a bien sûr beaucoup de vitres dans nos bureaux-containers qui sont installés dans le plus beau parc d’Anvers. Et cet espace si réduit n’est pas gênant car nous sommes souvent dehors avec les répétitions, nous pouvons même prendre notre chaise et aller travailler en plein air. Là aussi, on se dit que l’on ne va pas utiliser plus d’espaces privés que ceux dont nous avons besoin. C’est dans ce sens-là que je trouve que l’on est super conscients et actifs. Nous sommes concrets par rapport à nos idées et à ce que nous voulons défendre.
Vous aimez intégrer un moment convivial dans vos spectacles. Qu’avez-vous prévu pour Figaro ?
On aime bien recevoir les gens. On va installer un petit bar en bois. On fait des limonades, du thé à la menthe, du gingembre et du citron vert, des carafes pour tout le monde. Entre les deux pièces, il y a une restauration parce qu’il y a un petit changement de décor, et là on cuisine un repas populaire pour le public afin qu’il ne reste pas sur les gradins pendant quatre heures. Il mangera quelque chose, je dirais un repas populaire espagnol plutôt qu’une paëlla, je déteste ce mot trop associé à fiesta et mojitos.
Comment choisissez-vous vos acteurs ?
On a fait un chemin très long avec la plupart de nos acteurs. Je trouve que c’est une très jolie histoire, on se connaît très bien et ce qu’on fait est le fruit d’avoir déjà beaucoup vécu ensemble. Mais il y a toujours une personne nouvelle. A Istres, il y aura une actrice que l’on connaît depuis un mois. En plus des habitués, on essaye d’inviter au moins deux nouvelles personnes par an pour garder l’esprit frais et être confronté à une nouvelle génération.
Avez-vous un fonctionnement de collectif ?
Non. La traduction et l’adaptation sont faites par Kris et moi ; pour Beaumarchais, cela nous a pris huit mois ! Nous nous retrouvons déjà dans un cadre de théâtre, nous sommes inspirés par cela pendant la traduction. Lorsqu’on travaille avec les autres acteurs, nous n’avons jamais plus de cinq semaines, ce qui est très court. Alors je préfère plutôt dire que c’est le texte et le choix du décor et des costumes qui dirigent le spectacle, parce que le ton sur lequel tout le monde parle ou joue dépend de la personnalité de chacun. Et nous n’allons pas diriger ou intervenir dans la personnalité de quelqu’un.
Propos recueillis par Maryline Laurin
Figaro par la Cie Marius : du 4/06 au 7/06 au bord de l’Etang de l’Olivier / Esplanade Charles de Gaulle (Istres).
Rens. : 04 42 56 48 48
/ www.scenesetcines.fr