La Fille des Plateformes par le Collectif Nomade Village
L’Interview
Emilie Robert (Théâtre Massalia) et Philippe Domengie (Le Nomade Village)
Rencontre avec Emilie Robert, directrice du Théâtre Massalia, et Philippe Domengie, metteur en scène et co-responsable artistique du collectif Le Nomade Village (avec Virginie Coudoulet-Girard), à l’occasion de la création de La Fille des plateformes, spectacle mêlant théâtre et arts numériques.
Qu’est-ce que le projet « Platform shift+ », dont fait partie le spectacle ?
Emilie Robert : C’est un projet européen, initié par une équipe artistique anglo-germanique réunissant onze structures de neuf pays différents. Le projet a deux axes de travail, les adolescents d’un côté et les outils numériques de l’autre, avec une question centrale : l’adolescent peut-il avoir un lien direct au théâtre, l’envisager comme un loisir potentiel ?
Quel rapport avec les outils numériques ?
E.R. : Les outils numériques sont à la fois un vecteur de communication pour travailler la com’ vers les ados par le biais des réseaux sociaux par exemple et également un matériel artistique du côté du plateau, pour tenter un rapport plus direct avec eux.
C’est donc dans une optique de séduction ?
E.R. : Oui, on peut le dire comme ça. De mon point de vue, ça pose des questions qui concernent le rapport avec le public de manière générale et l’endroit de l’adolescence permet de se questionner avec plus d’acuité pour un public qui n’est pas facile. L’inscription dans le projet européen a commencé par la production d’un texte de Karin Serre suite à des ateliers d’écritures menés avec des jeunes gens.
Philippe Domengie : On a travaillé main dans la main dès le début. Nous utilisons des disciplines artistiques diverses et variées au plateau (danse, musique, outils numériques…). Il fallait donc que le texte s’adapte à notre manière de travailler. Karin Serre nous a écrit un texte sous forme de modules dans lequel on peut manipuler la chronologie, un peu comme pour un film. On n’a pas fait de casting mais gardé six des jeunes de l’atelier d’écriture qui avaient le plus d’affinités avec cette matière et les plus motivés pour la création du spectacle.
Il s’agit donc de comédiens amateurs ?
P.D. : Oui, ils ont dû se libérer du temps pour les répétitions, quatre semaines de travail. Mais je voudrais revenir sur cette idée de séduction car produire pour les ados, ça existe dans tous les domaines : musique, cinéma, séries, etc. C’est fait par des adultes, des professionnels ; et ce sont des choses qui ont du succès, qu’on les apprécie ou non, qu’on les trouve débiles ou outrancières…
On les trouve calibrées plutôt…
P.D. : Calibrées pour ce public-là et personnellement, je ne vois pas où est le problème sachant que l’on calibre des choses pour tous les types de public…
E.R. : Dans le théâtre, on ne calibre pas ainsi ; je pense que ça dépend de l’intention. Au Massalia, nous recevons beaucoup de propositions pour les ados, ce qui n’existait pas avant, où l’on passait du jeune public aux adultes directement. C’est intéressant qu’il y ait des gens qui écrivent en pensant spécifiquement à eux, avec des modalités qui les interpellent.
P.D. : Travailler avec des ados nous questionne sur la responsabilité des adultes, sur la transmission. Par rapport à certaines thématiques sociétales, on dirait parfois que l’on compte sur une sorte de génération spontanée qui permettrait de tout faire basculer, de tout repenser, alors que c’est à nous, les adultes, de repenser notre rapport à cet âge-là où il y a une forte prise de conscience et une énergie incroyable. La Fille des plateformes incarne tout cela.
Vous appuyez-vous sur des aspects biographiques de vos comédiens amateurs ?
P.D. : Ils ont participé à l’écriture du texte, mais pour une création en un mois, on sait qu’il va falloir driver et garder la structure qui fait ressortir le sens que l’on veut donner au spectacle. Par contre, il y a une liberté d’improvisation au plateau. On a un squelette très précis, mais on ne sait pas à quoi ressemblera le spectacle.
Et qui est cette Fille des plateformes ?
Les deux : La Fille des plateformes, c’est l’étrangère, l’autre, celle qui est différente et qui peut représenter tout ce qui ne s’est pas fait, dans un pays qui a beaucoup de mal à faire confiance à la jeunesse. Au niveau politique, il y a une difficulté à comprendre de quoi ça relève et comment il faut agir. C’est frappant dans le projet européen, le regard de nos partenaires n’est pas du tout le même : on donne bien plus de responsabilités aux jeunes ; cela apparaît sur certains spectacles. Il y a là un problème typiquement français, un blocage.
Propos recueillis par Olivier Puech
La Fille des Plateformes par le Collectif Nomade Village : les 15 et 16/04 au Petit Plateau de la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).
Rens. : 04 95 04 95 95 / www.theatremassalia.com
Pour en (sa)voir plus : www.lenomadevillage.com/nomade