FJ5C – Marseille Jazz des Cinq Continents à Marseille

Enjeux olympiques

 

Serait-ce faire du mauvais esprit que de constater une réduction de la voilure du FJ5C sous la contrainte du calendrier des Jeux Olympiques ? De fait, cette année, le festival, dans son expression estivale, s’arrête le 13 juillet. L’équipe organisatrice, emmenée par son sémillant directeur artistique Hugues Kieffer, n’a pu que se plier aux contraintes des thuriféraires de la flamme sportive globalisée, tout en entretenant les foyers musicaux qui, chaque année, attisent le feu du jazz dans la cité phocéenne et ses alentours.

 

 

La saison de Marseille Jazz commence toujours avec le « Parcours métropolitain », dans des communes de la périphérie urbaine. Ainsi du concert de la vibrante saxophoniste et flûtiste Sophie Alour qui, dans une instrumentation inédite (avec notamment le violoncelliste Guillaume Latil), jouera le répertoire de son dernier album, Le Temps Virtuose, un bijou poétique. Aux confins du pays d’Aix, c’est au Domaine de la Traconnade, à Jouques, que l’on pourra se trémousser sur le groove sensuel nimbé d’électro du saxophoniste Laurent Bardainne et de son groupe Tigre d’Eau Douce, avec en première partie Stompin’ Bayou, emmené par le trompettiste américain installé à Marseille Cleveland Donald, qui donne au répertoire New Orleans un sacré coup de lifting. Toujours dans le cadre du « Parcours Métropolitain », le contrebassiste Pierre Fénichel jouera avec son groupe Frenchtown Connection le répertoire de son album éponyme sur la place Bellot de Châteauneuf-Les-Martigues : en conjuguant le patrimoine du reggae avec celui d’un Sun Ra, gageons que les vibes jamaïcaines et les expérimentations aux confins du free jazz feront jaillir quelques bombocloat des rangs du public.

Que serait le jazz actuel dans la cité phocéenne sans Cyril Benhamou ? Le multi-instrumentiste, principalement pianiste, mais aussi flûtiste d’excellence, se voit confier une carte blanche à Plan-de-Cuques, où il s’exprimera d’abord en trio (gageons qu’avec le batteur Jérôme Mouriez et le bassiste Pascal Blanc, il renouera avec les sessions enfiévrées du rooftop Les Réformés), puis avec le Big Band O’Jazz d d’Aix-Marseille-Université dirigé par le tromboniste — par ailleurs responsable de la classe de jazz du conservatoire — Romain Morello. Une virée au Château de l’Empéri à Salon-de-Provence s’impose pour la venue de la nouvelle star de la contrebasse Endea Owens, une native de Detroit, dont la générosité musicale le dispute à l’engagement sociétal : ses sets groovy et spirituels sont ravageurs, et son implication dans The Community Cookout, une organisation à but non-lucratif qui distribue des repas et organise des concerts gratuits dans les quartiers défavorisés de New York, en font l’une des dignes héritières d’un jazz militant inspiré par l’esprit des Black Panthers. En première partie, signalons Embrassez-vous Quartet, un groupe emmené par la délicieuse chanteuse Naomi Morucci, issu de l’IMFP, l’école de jazz de Salon — la date est d’ailleurs coproduite avec la boîte de prod’ issue de cette dernière.

À Marseille, les festivités auront déjà commencé à l’Alhambra, avec le ciné-concert du « vocalchimiste » André Minvielle qui, en s’associant avec le collectif militant Les Mutins de Pangée et sa compagne Juliette Minvielle, concocte une performance visuelle et musicale aux accents d’ici et d’ailleurs, sans jamais oublier de swinguer à qui mieux-mieux. Le Parc de la Moline, dans les quartiers Est, accueillera la formation new-yorkaise Ajoyo, dont les effluves afro le disputent à une appétence marquée pour la soul.

Le Festival Jazz des Cinq Continents dûment estampillé se déploiera quant à lui d’abord dans les quartiers Nord, dans cet espace ô combien populaire qu’est le Théâtre de la Sucrière, proposant la multi-instrumentiste Gildaa et le vénérable pianiste cubain expérimentateur Omar Sosa, habitué des scènes locales. À la Friche, place aux jeunes en quelque sorte avec des formations qui devraient faire bouléguer plus d’un tafanari sur le toit-terrasse : le quintet du batteur Léon Phal, qui emprunte volontiers ses grooveries au meilleur des musiques actuelles succèdera au trio Bada-Bada, dont les improvisations débridées n’oublient jamais de donner à danser. C’est déjà complet pour les deux premiers soirs à la Vieille Charité. On conçoit que les têtes d’affiche avaient de quoi attirer le chaland, qu’il s’agisse de Kyle Eastwood feat. Robin McKelle — ô vertiges de la soul — ou de Mayra Andrade — ô vertiges de la morna cap-verdienne. Il reste encore des places pour la prestation de l’étoile montante du flamenco jazz, le chanteur-guitariste Vicente Amigo et pour le set afro-jazz Les Egarés du quartet Balaké Sissoko (kora), Vincent Segal (violoncelle), Émile Parisien (sax’soprano, bien sûr) & Vincent Peirani (accordédon, what else ?). Les premières parties ne seront pas en reste, conviant en ce lieu la jeune garde du jazz phocéen avec Jass Quartel, « The Swing mafia from Mars » (où l’on retrouve Cleveland Donald, décidément…), Effimero Quartet avec la remarquable chanteuse Nedjma Bacchi, dont le timbre exceptionnel se pare de volutes orientalisantes, ou encore LMN trio — Léo Achard, Maryline Ferrero, Nghia Duong : trois esthètes ès swing, piliers du Marseille Jazz Collective, à l’instar du duo Simone Pace (un guitariste italien néo-phocéen qui met le feu partout où il passe) & Tiffany Muzellec (une chanteuse superlative, au timbre enchanteur et au time ravageur).

Il sera alors temps pour le festival de regagner son écrin des jardins du Palais Longchamp. La programmation y prend des teintes pop sans jamais se départir d’une exigence musicale de qualité. Une belle part est faite aux expressions afro-américaines les plus récentes. Ont ainsi répondu à l’appel le crooner nu soul à la culture jazz sans pareille José James, la bassiste au groove expérimental et militant Meshell Ngedeocello, ou encore Madison McFerrin (la petite-fille de Bobby !), sans oublier la star du jazz social-romantique Gregory Porter — il succèdera d’ailleurs au pianiste guadeloupéen Grégory Privat sur la scène de Longchamp : deux grands Grégory valent mieux qu’un petit… En clôture, soirée aux airs de fête avant les flonflons hexagonaux avec Marion Rampal pour un tour de chant où l’émotion le dispute à la sensualité, David Walters pour un set au-delà du groove et Roberto Fonseca, pour soigner la dyslexie des pieds par ses torrides claves latines.

Marseille Jazz n’en oublie pas pour autant un cahier des charges impliquant un rayonnement musical dans la cité phocéenne, en proposant le Jazz Club 222 : dans la cour du Conservatoire de Marseille, de 22h à 2h du matin, des premières parties issues de la classe de jazz de l’institution seront suivies par des jeunes formations issues de dispositifs de soutien à la création contemporaine (Prospectus, un groupe revendiquant l’héritage du plus monkien des sax’ soprano, Steve Lacy ; Verb, un trio classique qui porte haut les couleurs des Bill Evans et autres Chick Corea), mais également par une rencontre inédite entre la Compagnie Nine Spirit de Raphaël Imbert avec le collectif Reverence, d’Atlanta, pour une joute improvisée dont nul ne sortira indemne !

 

Laurent Dussutour

 

FJ5C – Marseille Jazz des Cinq Continents : du 30/06 au 13/07 à Marseille.

Parcours métropolitain : jusqu’au 22/11 en Provence.

Rens. : www.marseillejazz.com

Le programme détaillé du FJ5C – Marseille Jazz des Cinq Continents ici

Le programme détaillé du Parcours métropolitain ici