Flavie Pinatel – Al-Djezaïr à la Galerie des Grands Bains Douches de la Plaine
Mémoires vives
En écho à la programmation du film Ramallah de Flavie Pinatel à la Villa Méditerranée (Festival Parallèle), les Films de Force majeure proposent, à la Galerie des Grands Bains Douches, une installation vidéo qui traite aussi de la (dé)colonisation. Al-Djezaïr évoque celle dont nos manuels disent encore si peu de choses : l’Algérie française.
Quand Flavie Pinatel rentre en France après trois mois d’immersion en Palestine, elle est marquée par l’obligation de dissimulation des colonisés. « Au cours de mon séjour, j’ai bien souvent dû dissimuler la raison de ma présence, j’ai dû mentir au checkpoint, à l’aéroport, faire envoyer mes images en valise diplomatique. C’était la première fois que je ressentais la sensation du colonisé : la peur, la colère, l’indignation. » Nous sommes alors en septembre 2011, c’est le cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne.
Artiste d’origine marseillaise, Flavie se rappelle que ses copains d’enfance sont algériens, que dans sa famille, « on a fait l’Algérie ». Une histoire dont on sait tous peu de choses. Alors, elle part à la rencontre d’Adolfo Kavinsky, un faussaire qui a fourni des papiers d’identité aux juifs pendant l’Occupation, puis aux membres du FLN. Elle rencontre ensuite Jacques Pradel, autoproclamé « pied-noir progressiste », qui distribue une parole réconciliant les générations algériennes et françaises d’une rive à l’autre de la Méditerranée, puis des poètes algériens…
Sur les vitres de l’espace incongru de la Galerie des Grands Bains Douches de la Plaine, quatre écrans projettent les images des protagonistes interviewés mais aussi des plans de vagues, des flots, la mer dense, la mer calme, la mer traversée par le bateau. Une mer fédératrice ? Les eaux profondes de l’oubli ? Les images se reflètent conjointement sur les murs, accompagnées par le bastingage d’une bande-son, délibérément saturée aux moments où l’on pense que quelque chose d’important va être dit, comme une voix masquant la vérité de ce pan d’histoire commune. Avec pertinence, le flou et le mensonge étatique sont ainsi entretenus par l’extrême sensorialité de l’œuvre, qui s’attache à brouiller les pistes de temps et celles de la mémoire. Les temps se confondent, celui du récit et celui du poète, celui de l’Algérie d’avant et de maintenant. Dans ce partage des eaux, Al-Djezaïr est une œuvre rêveuse où les documents sont fictionnels, mais la parole sincère.
Joanna Selvidès
Flavie Pinatel – Al-Djezaïr : jusqu’au 15/02 à la Galerie des Grands Bains Douches de la Plaine (35 bis rue de la bibliothèque, 1er). Rens. 04 91 47 87 92 / www.art-cade.org