Le Théâtre du Merlan nous propose la venue de Rodrigo Garcia avec L’histoire de Ronald, le clown de Mac Donald’s. Un écrivain maintes fois joué, y compris dans le théâtre amateur, publié et distribué, y compris à la Fnac, et dont le travail pose la question du singulier et de sa négation par des sentiments monnayés… (lire la suite)
Le Théâtre du Merlan nous propose la venue de Rodrigo Garcia avec L’histoire de Ronald, le clown de Mac Donald’s. Un écrivain maintes fois joué, y compris dans le théâtre amateur, publié et distribué, y compris à la Fnac, et dont le travail pose la question du singulier et de sa négation par des sentiments monnayés.
Rodrigo Garcia écrit à la première personne. Loin de chercher à connaître la vérité officielle du passé, il se promène dans ses souvenirs et constate des dimensions et des récurrences insolites. Des petites évidences et des redondances de lieux deviennent des points de fixation propres à nous déchaîner, à en faire voir de toutes les couleurs et avant tout à soi-même. Le corps s’expose, pris dans le prolongement des mots. Le lâcher prise devient le lieu d’un exutoire, d’une prise de conscience, une porte s’ouvre sur la violence. Ici, ce qui fait sens, c’est encore une fois cette dimension du théâtre qui adopte le rejet, les mauvaises idées, les bourrelets, le disgracieux. Formidables ruines qu’on réhabilite dans un monde ordonné pour se réapproprier le paysage. Que penser de gens qui disent qu’ils n’aiment pas la salade ? Comment vivre avec la présence du clown Mac Donald ? Celui qui devient l’image d’un souvenir, le lieu réconfortant des moments graves. Le deuil (la mort du père) n’est plus vécu dans le recueillement (l’isolement de la famille dans un recoin de la maison). Il se passe à table, au milieu des couleurs, des plantes vertes, des sandwichs photogéniques, de cette odeur qui ne correspond à aucun aliment particulier, mais qui est une odeur universelle, connue de tous, comme un souvenir permanent, une crise de manque. Il nous est arrivé de croiser des gens qui disent qu’ils n’iront jamais chez Mac Donald, mais une chose est sûre, ils essaieront un jour, celui-là ou une autre marque et quel que soit le nom et le lieu, ils penseront, nous penserons à Mac Donald. C’est-à-dire que dans un moment de tristesse — et on se rend souvent chez Mac Donald dans un moment de tristesse —, ce qui passe par l’œil nous berce dans une illusion, nous apaise de ce qu’on ne veut pas subir. Le deuil est biaisé, il est réadapté, il ne s’inscrit plus dans le souvenir de… mais dans une époque, un décor, une fiction. Voilà la tragédie de Rodrigo Garcia, l’horrible constat que des moments de sa vie sont intimement liés à la présence récurrente d’un clown, le pire, celui qui porte un prénom. Il devient une personne, une présence. Manger et parler, c’est un plaisir, mais dans la bouche de Rodrigo Garcia, c’est un constat, à la manière d’une vidéo de surveillance qui sera le centre du débat, il trouve, il interprète, il balance, traversant les corps et les lieux, il martyrise son bien-être, sa vie de tous les jours, son endormissement, ses manies, tout ce qu’on ne voit plus. Pourquoi le lire nous fait parfois rire ? Parce que nous en sommes aussi les victimes et qu’il pointe ce qui nous accompagne malgré nous. Le remord de l’Occident : la belle invention qui prolonge le rêve de la liberté, le plaisir de l’apparence et le recueillement devant l’image vidéo. Nous savons ce que vivent les autres et nous compatissons. En utilisant la première personne, Rodrigo Garcia s’inscrit chez les autres, il participe au jeu monstrueux du commerce et de ses fantasmes, jusque dans sa plus petite intimité. Patrick Bateman fréquentait les quartiers chics et assassinait des sans abris dans une apologie du capitalisme qui se retournait contre lui (sa paranoïa). Ici, la paranoïa de Rodrigo Garcia est d’ordre scatologique, comme un retournement, l’envers d’une combinaison, là où on voit les coutures, ce qui déplaît, ce qui n’est pas moral, parce qu’anti-consumériste. De Breat Eston Ellis à Rodrigo Garcia, il y a juste un écart de style, un passage de l’autre côté du miroir. L’insoutenable porte un costume ou se vit tout nu, il touche au singulier et se diffuse dans la foule. Fabriquant lui-même ce qu’il condamne, un sentiment de masse.
Texte et photo : Karim Grandi-Baupain
L’histoire de Ronald, le clown de Mac Donald’s de Rodrigo Garcia. Du 3 au 6 à la Cartonnerie, Friche la Belle de Mai. Réservations indispensables au 04 91 11 19 20. Déconseillé au moins de 16 ans non accompagnés d’un adulte.