Funny games U.S – (USA – 1h51) de Michael Haneke avec Tim Roth, Naomi Watts…
Double jeu
Il était une fois Funny games, ou deux énergumènes passablement dérangés, échappés d’Orange mécanique, qui prenaient en otage une famille et, dans un huis clos oppressant, se mettaient consciencieusement et méticuleusement, jusqu’à l’absurde et au bout de la nuit, à la torturer, aussi bien mentalement que physiquement… Si ce pitch vous parle (ou vous donne la nausée), c’est que vous avez déjà vu le film de Michael Haneke, qu’icelui a décidé de refaire à l’identique — mis à part le casting et la langue — de l’autre côté de l’Atlantique ; puisque, comme le dit le dicton, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Première dans toute l’histoire du cinéma — si l’on excepte la relecture de Psychose, plan par plan, de Gus Van Sant, mais il n’était pas l’auteur de l’original, donc ça compte pas —, cette décalque cinématographique reprend exactement, effet de miroir troublant, le scénario, les dialogues, les décors, le découpage et la mise en scène de Funny Games version tyrolienne. Cela posé, et après avoir dit, au hasard, que Naomi Watts sera toujours plus agréable à regarder que Suzanne Lothar, son pendant autrichien, on peut ensuite s’interroger sur les motivations profondes qui animent ce projet. En retournant peu ou prou le même film, en nous resservant le même propos autour de la dénonciation du spectacle de la violence, mais cette fois-ci sur le sol américain, époque Bush, il n’est pas interdit d’y voir un bras d’honneur d’Haneke l’Européen à l’entertainment US, au show must go on inhérent aux blockbusters. Car l’ambition d’Haneke, également philosophe et psychologue, est assurément plus complexe que celle des faiseurs hollywoodiens, dont on sort des thrillers heureux et apaisé, ravi du dénouement après quelques sueurs froides et bonds dans son fauteuil. Soit tout le contraire de Funny games qui se termine, après une longue agonie, sur des points de suspension… Ou le triomphe du malaise. Aussi, en maltraitant deux stars hollywodiennes, Tim Roth et Naomi Watts, habitués à la violence du cinéma US (Reservoir dogs, Pulp fiction, Les promesses de l’ombre, Le cercle), Haneke, tel un situationniste infiltré aux USA, s’amuse comme un petit fou à déconstruire ces icônes, à dynamiter les sacro-saints codes de la société du spectacle américaine qui n’en finit plus de consacrer la violence de There will be blood ou No country for old men. Alors, il était deux fois Funny games ? A vous de voir…
Henri Seard