Marion Rampal

Galette | Tissé de Marion Rampal

Drôle de trame

 

Décidément, le jazz actuel semble ne plus pouvoir se passer de tentations pop et folk. Avec son nouvel album Tissé, la chanteuse Marion Rampal s’impose comme l’une des voix les plus convaincantes d’une génération musicale lorgnant vers des horizons aux sonorités novatrices et résolument populaires.

 

 

La chanteuse, née à Marseille, n’en est pas à ses premières expérimentations : de ses débuts dans le jazz au sein de la Compagnie Nine Spirit, aux côtés de Raphaël Imbert, jusqu’à ses incursions dans la poésie symbolique et la musique classique aux accents intimes d’un Gabriel Fauré, en passant par son compagnonnage d’une décennie avec Archie Shepp, c’est une touche-à-tout qui se complait à bricoler, bidouiller et malaxer les sonorités. Celles de sa voix, en particulier, dont elle joue ici en capitalisant toute son expérience de la créolisation : depuis ses collectages dans les territoires où naquit le blues, et qu’elle transposa dans son album Main Blue (2016), elle prend des accents délicieusement métissés, jusque dans quelque effacement des consonnes qui fleure bon le respect pour les promesses d’émancipation dont ces langages sont le vecteur. On la sent particulièrement enjaillée lorsqu’elle chante cet hymne écolo qu’est Calling to the forest  — à l’origine une berceuse pour sa fille — et qu’elle croise les cordes vocales d’Archie Shepp, sur fond de vibrations cristallines de verres qu’elle trouva dans la maison de ce dernier : là, on atteint quelque limbe mythologique.

Qui plus est, elle met son art vocal au service de ses talents d’écriture poétique : les textes, pour la plupart en français, sont issus d’une plume aux nuances infinies, pouvant convoquer Eros et Thanatos (A Volé, hymne à l’amour et pied de nez à la mort), empruntant le registre du conte (L’Île aux chants mêlés, composée à l’origine pour le spectacle jeune public éponyme). Il y a de la chair et du désir dans cette écriture. Peut-être parce qu’elle a renoué avec la guitare, instrument de son adolescence punk. Sur le disque, en tout cas, c’est Matthis Pascaud qui s’y colle : ce guitariste prolifique, au CV plus long que les deux bras, s’est vu confier par la chanteuse la production musicale de l’album (il joue aussi de la basse, des claviers, de la batterie et des percussions). Il a su donner aux différentes esthétiques abordées une homogénéité en jouant sur un sens de l’espace sonore sans pareille, avec une profondeur de champ — de chant — aux tentations universelles, conviant l’auditeur à chantonner (surtout pas en rond !) tout au long de ces onze plages. Le mixage a été réalisé par le claviériste d’excellence Tony Paeleman, qui a su s’immiscer dans la trame du disque comme un sculpteur d’espace sonore, donnant notamment au tromboniste Sébastien Llado quelques belles occasions de ramener à des archaïsmes authentiquement (si tant est que cela soit possible) jazz.

Le secret de cet album ? La quête de l’authenticité ne peut avoir d’autre horizon que le tissage des fils musicaux les plus variés en textures et en couleurs : qu’ils soient teintés de blues, de folk ou bien de pop, ils forment la trame d’un jazz d’excellence.

 

Laurent Dussutour

Dans les bacs : Tissé de Marion Rampal (Les Rivières Souterraines).

Marion Rampal sera en concert le 29 avril au Théâtre du Rocher de La Garde (83).

Rens. : http://www.marionrampal.com