Jazz à tous les étages
Le jazz provençal se porte décidément bien. La preuve par cinq avec les nouveaux opus de Afropean Project, Ben Rando, Julien Brunnetaud, Minuit 10 et Way Out Trio !
Afropean Project (Apres)
La créolisation à la phocéenne se cristallise tout au long des compositions du pianiste Pascal Versini, maître d’œuvre de cet opus. Entre le jeu poétique du leader, la trompette incandescente et narquoise de Cleveland Donald (cet Américain installé à Marseille chante également sur sa propre composition) et la rythmique groovy à souhait du duo Willy Quiko (basse)/Jessy Rakotomanga (batterie), on entend les échos d’un Abdullah Ibrahim et d’un Hugh Masekela — respectivement pianiste et trompettiste sud-africains militants anti-apartheid. Les incursions afrobeat, agrémentées d’une réverbération subliminale, donneraient presque à croire que ce disque est issu du London Jazz 2.0 actuel. Que nenni ! Il a bel et bien été enregistré au Studio B du pianiste/producteur Lionel Dandine, à Gardanne.
Rens. : afropeanproject.fr
Ben Rando – Créatures (Onde)
Ce sémillant pianiste, boss du studio Eole sis à Rognes et du label Onde Musique, ose l’aventure de l’album solo. Ce très fin mélodiste aligne deux reprises — la sublime pièce latine Alfonsina y el Mar et une sonate du compositeur baroque Scarlatti — et six compositions. Son swing furtif et son toucher félin procurent à l’ensemble densité et onirisme. S’il se revendique de la musique minimaliste de John Cage et de la pop cinématographique de Radiohead, il n’en possède pas moins une touche personnelle faite d’évanescence et de présence simultanées. La Provence tiendrait-elle là son Brad Mehldau ?
Rens. : www.benrando.com
Julien Brunetaud – Bluesiana (Brojar Music)
Du blues louisianais made in Marseille, enregistré au PIC Télémaque, du côté de l’Estaque. Le pianiste crooner originaire du Sud-Ouest, riche d’une carrière qui l’a conduit notamment à La Nouvelle-Orléans et en Louisiane il y a une vingtaine d’années, nous fait partager impressions et souvenirs de la Crescent City et du bayou. Ses propres compositions n’ont pas à souffrir la comparaison avec les standards éternels comme Tipitina. L’ensemble a la saveur d’un ragoût d’alligator qui aurait mijoté dans un moonshine élaboré dans un juke joint. Boogie et blues hautement inflammables donc.
Rens. : www.julienbrunetaud.com
Minuit 10 – Sans bruit (autoproduction)
Les frères Rouvière reviennent avec leur « jazz progressif » teinté de folk et de blues. L’inclusion d’une chanteuse (Morgane Cadre) donne à leurs compositions des atours résolument contemporains, rappelant notamment l’art du chant diphonique d’une Isabel Sörling. Quant à la présence de Matis Regnault à la contrebasse, elle leur permet d’atteindre plus de profondeur que sur leur précédent opus. Une esthétique singulière qui fait souffler un vent de fraîcheur dans le jazz made in Provence.
Rens. : www.minuit10music.com
Way Out Trio (autoproduction)
Voilà un trio qui n’a pas peur du vide ! Trois funambules musicaux — Antoine Lucchini au saxophone, Olivier Lalauze à la contrebasse et Léo Achard à la batterie —, sans instrument harmonique donc, qui posent un jalon provençal sur la route escarpée du trio pianoless. On pense bien sûr aux expérimentations en la matière d’un Sonny Rollins, tant le son du saxophoniste a cette générosité du légendaire ténor américain (cf. l’album Way Out West, 1957). Pour autant, ils empruntent également aux velléités « harmolodiques » d’un Ornette Coleman ainsi qu’au flamenco, proposant une mélancolie joyeuse, déployant des oxymores, signe d’une maturité artistique affûtée. Le jeu collectif résonne de tentations de jeu « out » et de profondes incantations qui, si elles semblent emplies d’un je-ne-sais quoi de solastalgique, n’en sont pas moins serties de pointes d’humour.
Rens. : wayouttrio.com
Laurent Dussutour