Gran Torino (USA – 1h55) de et avec Clint Eastwood, avec Bee Vang…
Harry dans tous ses états
Il y a, à la toute fin de Gran Torino, un plan outrageusement culotté, offert avec une telle simplicité qu’il en devient profondément émouvant. Walt Kowalski, col bleu aigri par l’Amérique d’aujourd’hui, est étendu sur le sol, les bras en croix. A ce moment précis, Eastwood filme Clint/Harry Callahan, dans son linceul, insistant sur chaque impact de balles comme s’il fallait se convaincre que cet immense corps de cinéma pouvait succomber à l’épreuve du feu. A ce moment précis, l’œuvre n’a jamais atteint un tel degré de sincérité. Car si Eastwood est le dernier cinéaste classique, ce n’est pas parce qu’il incarne un certain artisanat dans la manière de concevoir les films, de sculpter la lumière et d’agencer les plans, mais parce qu’il croit dans la fiction, dans le cinéma, plus que dans tout autre artifice de mise en scène. Faire un film, c’est donc se mettre à nu, justement parce que l’image et le récit permettent cette impudeur. Gran Torino, comme Honkytonk man et Impitoyable en leur temps, est donc un de ses plus beaux films. L’histoire de Kowalski n’est pas seulement celle (immensément drôle, disons-le) d’un vétéran de la guerre de Corée contraint de s’accommoder de voisins asiatiques, c’est aussi celle d’un être inadapté, rejeté par la société, qui apprend, plan après plan, à reconquérir sa place dans le champ (des autres, de l’Amérique). On ne saurait filmer plus sobrement la réconciliation de l’Amérique avec ses vieux démons. Et l’offrande du corps d’Harry, en bout de course, n’en est que plus belle.
CR